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Abdelghani Mohsein, inventeur syrien qui développe Mulhouse

Photo du rédacteur: Jean-Luc WertenschlagJean-Luc Wertenschlag

Abdelghani est un réfugié politique syrien arrivé en France le 14 juillet 2016. Installé à Mulhouse, cet ingénieur, développeur web et graphiste fourmille d'idées et de projets. Entretien pour découvrir un amoureux de la France heureux d'être mulhousien. Propos recueillis le 14 novembre 2023 (avant la chute du régime dictatorial Assad en Syrie) par Julien, Anna et Jean-Luc pour Radio Quetsch, L'Alterpresse et Wunder Media. Photos Anna Kuklìkovà pour IR Media.


Transcription d'une interview radio à écouter en podcast :



Photos Anna Kuklìkovà
Photos Anna Kuklìkovà


  • Nous sommes chez Abdelghani Mohsein. Nous nous promenons autour du quartier Wagner à la rencontre d'habitants et d'habitantes de Mulhouse. L'idée aujourd'hui, c'est de découvrir Abdelghani, ton parcours, d'où tu viens, comment tu es arrivé à Mulhouse, qu'est-ce que tu fais dans cette ville, quels sont tes projets, comment trouves-tu cette ville et ce pays.


Je suis syrien. Je suis arrivé en France le 14 juillet 2016, jour de fête nationale. Et ça me procure beaucoup de plaisir parce que c'est le premier jour de ma nouvelle vie. Et je suis arrivé en France le jour de la fête nationale. Je suis né à Alep. Après la révolution syrienne en 2011, j'étais contre le régime. À cause de ça, j'étais emprisonné en 2015. J'avais des activités en ligne sur Facebook, je partageais des posts contre le régime, j'écrivais des commentaires, j'encourageais les gens à faire la révolution. Ce n'était pas grand chose, mais en Syrie ça [suffisait] pour être emprisonné. C'était comme ça.


  • Un jour, on frappe à ta porte ?


Non, ce n'est pas à la porte, c'est dans la rue. Je voulais entrer chez moi, et devant la porte, ils m'ont arrêté et envoyé en prison. Mais ce n'était pas une prison officielle, c'était une prison de sécurité. Je ne sais pas si ça existe en France, je ne pense pas. On est envoyé en prison sans procès, sans tribunal, sans rien. C'est comme ça. J'y ai passé deux semaines puis j'ai payé pour sortir. On doit payer pour être libéré. Mais ensuite, j'étais obligé de quitter la Syrie parce que cela devenait dangereux, trop dangereux.


ma ville Alep ressemble beaucoup à Mulhouse


  • Ta jeunesse, ton enfance, tu l'as passée à Alep ?


Mon enfance à Alep était géniale, avec des amis, dans la rue, avec les voisins, les voisines, tout ça, c'était sympa. Il y avait beaucoup de jolies choses. Et ma ville Alep ressemble beaucoup à Mulhouse, au niveau des rues, au niveau des parcs. C'est parce que la France était là-bas, dans les années 40. Et mon père a visité la France trois fois avant la guerre. Mon père avait toujours un souhait, qu'on continue notre vie en France. Parce qu'il a beaucoup aimé la France, il a aimé la liberté ici. Et il me parlait sans arrêt de la France, de la beauté des rues, du peuple, de la liberté ici.


  • Tu as donc vécu une enfance heureuse en Syrie, en famille ? Tu as fait des études ?


J'ai trois soeurs. Alors j'ai étudié à l'école, et dès l'âge de 13 ans, j'ai bien aimé l'ordinateur. C'était tout nouveau en Syrie. Et j'étais dans les premières familles qui ont possédé un ordinateur en Syrie. Je suis devenu addict de l'ordinateur. Après l'école, j'ai continué à l'université, je suis devenu ingénieur informatique. J'ai fini mes études en 2011, avant la révolution. En Syrie, les ingénieurs sont obligés de travailler pour l'État. C'est obligatoire. Mais je n'ai travaillé que quelques mois parce qu'après, la guerre a éclaté et tout s'est arrêté.





  • Rappelle-nous quelle est cette guerre civile qui a démarré en 2011?


Bon, la guerre, c'est tout simplement la famille el-Assad, qui [contrôlait] la Syrie depuis plus de 50 ans. Le peuple était impuissant. On vit bien, tranquille, mais toujours en danger. En danger d'être arrêté, d'être prisonnier, d'être volé. Et en 2011 démarre une révolution contre le régime. Mais malheureusement le régime était très fort, au niveau militaire, il a tout bombardé. Même et surtout Alep.


  • Les printemps arabes! Tu te reconnais dans cette expression, elle te semble adaptée ?


En Syrie, il y a toujours de petites actions contre le régime. Mais avec la manière forte du régime, on n'en parlait pas sur les réseaux sociaux ou les télés. Ensuite le printemps arabe a ouvert les possibles pour tout le monde. La révolution syrienne est devenue bien plus forte.


  • Les printemps arabes ont commencé en Tunisie ?


Ça a commencé en Tunisie, oui. Ensuite l'Égypte, la Libye, la Yémen puis la Syrie.


  • Le Bahreïn aussi, qui a férocement réprimé les manifestants dans la rue. Et seule la Tunisie a réussi à faire partir le dictateur Ben Ali.


Oui, c'était le plus sympa, le plus facile, le plus rapide.


  • Aujourd'hui, ce n'est peut-être pas la fête tous les jours en Tunisie, mais en tout cas le peuple a réussi à renverser un régime corrompu, à installer un début de démocratie. C'est malheureusement, me semble-t-il, le seul pays où ce printemps arabe a gagné.


Il est tranquille maintenant, oui.


les ingénieurs et les médecins n'avaient pas le droit de quitter la Syrie


  • La révolution syrienne a été réprimée dans le sang par el-Assad. Tu as passé deux semaines en prison en 2015, tu réussis à sortir en payant. Après, qu'est-ce qui se passe ?


J'ai payé une personne qui a beaucoup de relations avec le régime, il m'a conseillé de quitter la Syrie, parce qu'il ne pouvait pas me protéger plus d'un mois. Mais comme je suis ingénieur informatique, c'était interdit pour moi de quitter le pays, comme pour tous les ingénieurs. Là-bas, c'est comme ça, les ingénieurs et les médecins n'ont pas le droit de quitter le pays. J'ai passé la frontière entre la Syrie et le Liban, de façon légale, mais j'ai payé aussi pour cacher mon nom. Quand je suis arrivé au Liban, c'était mon premier jour de liberté. Le Liban est encore sous le contrôle du régime syrien, mais quand même, ce n'est pas comme en Syrie. C'est bien mieux. Mais ce n'est pas sécure là-bas, le Hezbollah pro-Assad contrôle l'aéroport. Puis j'ai pris l'avion vers la Turquie. Et je suis resté en Turquie un an environ. Et j'ai eu la chance d'obtenir un visa à l'ambassade française à Istanbul pour venir en France.





  • Obtenir un visa pour la France, ce n'est pas toujours facile. Tu as payé quelqu'un ?


Non. En fait, c'est le contraire. Pour avoir un visa touristique, c'est difficile pour les Syriens, c'est sûr. Mais la France est le seul pays qui accepte les demandes d'asile syriennes directement dans les ambassades. C'est le seul pays européen qui accepte ça.


  • C'est encore le cas aujourd'hui ? [novembre 2023]


Oui.


  • À vérifier, parce que cet accueil sympathique de la France me semble tellement loin de la politique actuelle...


Avant, en 2015, la France acceptait 90% des demandes. Maintenant, c'est bien plus difficile. Peut-être que ce n'est même pas 10%.


  • Au départ de la Syrie, tu parlais quelle langue ?


Arabe, anglais, parce que je travaille en ligne en tant que web développeur, alors je maîtrise bien l'anglais. Et un peu de français. Et j'ai appris le turc en Turquie. Mais maintenant j'ai tout oublié. Parce que je ne le pratique plus.


  • Si l'ambassade de France t'accorde un visa, c'est parce que tu es ingénieur ?


Non. J'ai raconté mon histoire, les jours passés en prison. Et j'ai eu un visa D, D pour demandeur d'asile. Ensuite, j'arrive à Mulhouse, et j'avais trois mois pour demander l'asile en France. J'ai une sœur qui habite ici depuis 20 ans. C'est le destin que ma famille soit en France.


  • Mais pourquoi ta sœur est arrivée à Mulhouse et pas à Brest ou à Tourcoing ?


Parce que son mari syrien est ingénieur textile, il a étudié à l'UHA (Université de Haute Alsace) avant la révolution syrienne. Mais quand il a terminé ses études, c'était la guerre. Alors il est resté en France. Ma soeur a aussi fait un master en ingénieur d'énergie à l'UHA.


  • Donc tu arrives à Mulhouse avec un visa de demandeur d'asile, enfin de possibilité de demander l'asile. On est en 2016, tu lances ta demande d'asile, comment ça se passe ?


Pour commencer la procédure, il faut faire une demande à la préfecture. Tout d'abord, j'étais accompagné par une association, Cada Appuis, un assistant social m'a aidé à faire toutes les démarches.


  • En quelle langue tu échangeais ?


À cette époque, il y avait un cours de français à l'association, et dans chaque entretien, il y avait un interprète.



Photos Anna Kuklìkovà
Photos Anna Kuklìkovà


  • Comment se passe une demande d'asile ?


C'est différent par rapport à chaque cas, par rapport à la personne. Moi, par exemple, j'ai eu besoin d'un peu plus d'un an pour avoir le statut de réfugié. Enfin ce n'est pas exactement le statut de réfugié, c'est la protection subsidiaire, mais c'est un peu pareil. La seule différence entre les deux statuts, avec la protection subsidiaire en 2016-2017, j'avais le droit à un séjour d'un an, avec une carte de séjour renouvelable chaque année. Maintenant c'est 4 ans. Le statut de réfugié permet un séjour de 10 ans, depuis la première carte de séjour.


  • La protection subsidiaire, c'est encore ton statut aujourd'hui ? Tu as droit à quoi ?


Oui. J'ai le droit de tout, comme les Français. Sauf le droit de vote.


  • Comment ça se passe ? Il y a des entretiens officiels pour avoir droit à cette protection. subsidiaire, qui n'est pas loin d'être réfugié politique.


Oui, c'est l'OFPRA. L'office français de protection des réfugiés et apatrides. Après avoir déposé ma demande à la préfecture, j'ai attendu un an, puis j'ai eu un entretien à l'OFPRA. L'entretien a duré plus de 3 heures. C'était pour vérifier, comme avec tous les demandeurs d'asile, le statut, l'histoire. Par exemple, il y a des demandeurs d'asile qui se prétendent syriens, mais qui ne sont pas syriens. Lors de l'entretien, on te demande les noms des rues, les noms des villes, pour vérifier si tu es bien syrien. Et on vérifie aussi l'histoire, les jours passés au prison, tout ça. Moi, normalement, j'aurais du avoir le statut de réfugié. Mais je pense que j'ai eu le statut de production subsidiaire parce qu'il y avait beaucoup trop de demandes à traiter. Et les dossiers de protection subsidiaire, sont traités plus rapidement. Alors je pense que c'est pour ça que j'ai eu ce statut.


  • Mais est-ce qu'à cette époque de guerre en Syrie, en 2016, tous les Syriens étaient acceptés en France et en Europe ?


Oui.


  • Il y en a quand même quelques-uns peut-être qui sont restés coincés en Turquie, non ? L'Union européenne a payé la Turquie à coups de milliards pour garder les réfugiés syriens chez elle ?


Oui. En fait, pour demander l'asile dans l'Union Européenne, il faut passer par l'ONU, les Nations Unies. Sauf pour la France, qui accepte directement les demandes d'asile. Mais la France ne peut pas accepter 20 000 personnes par mois! Moi, par exemple, quand j'ai déposé mon dossier à l'ambassade de France à Istanbul, j'ai attendu la répondse pendant 60 jours.


  • C'est relativement rapide. Par rapport aux procédures qui peuvent parfois prendre des années.


Et c'était la crise. Mais je connais des personnes en Turquie qui attendent 6 ou 8 mois la réponse. Alors que moi, en 2015, c'était plus facile qu'actuellement.


  • Tu arrives en France en 2016 ? Tu as tout de suite le droit de travailler ? Tu arrives à Mulhouse, chez ta sœur peut-être ?


Oui, le 14 juillet 2016. Non, le droit de travailler c'est seulement avoir avoir reçu la première carte de séjour. Je suis resté chez ma sœur quelques jours, après j'ai été accompagné par l'association Cada Appuis. J'ai été logé à l'association. J'en ai profité pour apprendre le français, pour l'intégration. J'ai fait beaucoup de sorties, beaucoup d'activités bénévoles dans l'association. J'ai donné des formations informatiques pour mes camarades, les autres demandeurs d'asile, pendant un an.


  • Et donc au bout d'un an, tu reçois la protection subsidiaire ?


Oui. Là c'est bon, oui. Alors ensuite il faut commencer les vraies démarches. Pôle Emploi, la CAF, la carte de séjour, l'assurance maladie.


J'ai créé mon entreprise 99 Ideas.


  • Le parcours traditionnel du combattant administratif français... Ça t'a pris deux ans.


Maintenant, tout a changé pour moi. J'ai eu ma première carte de séjour en 2017 et j'ai pu commencer ma vie professionnelle en février 2018. J'ai créé mon entreprise en tant que web-developer et graphiste 99 Ideas. C'est un terme connu en informatique. Quand on dit "99 Ideas", ça veut dire qu'il y a plein d'idées. Je ne sais pas pourquoi 99, mais passons. Oui, parce que dans mon travail, j'ai plein d'idées, plein de projets.


  • Super ! Raconte-nous ces idées et ces projets.


Bon, en tant que web développeur, j'ai des clients classiques, qui me demandent de développer des sites internet, des web applications, tout ça. Mais j'ai un projet personnel, une plateforme pour apprendre le français, apprendre l'intégration. Pour moi, c'est la chose la plus difficile et la plus importante pour les étrangers. Apprendre le français. Et l'intégration, la vie quotidienne. Ce n'est pas uniquement la langue française. Dans les cours classiques, il manque quelque chose. On apprend les lettres, les verbes, la grammaire, le vocabulaire, mais on risque de ne pas l'utiliser s'il n'y a pas l'intégration. Alors est née l'idée de FLE Learning. FLE, France Langue Étrangère, Learning, Apprendre le français en termes de vie quotidienne. Par exemple, apprendre le verbe "faire", ce n'est pas que de la conjugaison. On utilise ce verbe "faire" dans un cours qui se passe dans un cabinet de médecin. Comment prendre rendez-vous chez le médecin ? Comment ouvrir un compte bancaire ? Et toutes les vidéos, toutes les images de FLE Learning sont prises à Mulhouse. Auchan, Crédit Mutuel, Porte-Jeune, Coteaux. J'avais besoin d'un prof de FLE pour créer le contenu, j'ai rencontré l'association La Passerelle des Talents et j'ai travaillé avec eux jusqu'en 2021, bénévolement, sur ce sujet. En 2021, j'ai signé un contrat de salarié en tant qu'un conseiller numérique, et parallèlement je continue mon travail en tant qu'entrepreneur.


FLE Learning. FLE, France Langue Étrangère, Learning, Apprendre le français en termes de vie quotidienne.





  • Tu as vécu cette intégration en France, comment ça se passe quand on ouvre un compte bancaire, qu'on s'assure pour la maladie, etc.


Il y a des difficultés. Par exemple, je connais quelqu'un qui paie un abonnement internet 200 euros par mois. Pourquoi 200 euros par mois ? parce qu'il ne comprend pas le français. Et quand il a signé l'abonnement, il ne répondait que oui. Alors le fournisseur en a profité. Il lui demande par exemple, vous avez besoin de Canal+ ? Il répond oui. Besoin d'autres choses ? Oui, oui, oui. Alors finalement, il paye 200 euros parce qu'il n'a pas compris. Alors c'est la langue qu'il faut apprendre. Ce n'est pas seulement parler français, mais s'intégrer dans la vie quotidienne. C'est ma vision.


  • Il y a beaucoup d'étrangers qui ne maîtrisent pas le français à Mulhouse ?


Bien sûr. Quand on arrive ici, tout le monde dit qu'il faut travailler, il faut travailler, il faut travailler, il faut payer des impôts, c'est le plus important. Alors il y a beaucoup de monde, beaucoup d'étrangers, qui commencent leur vie professionnelle tout de suite, soit la livraison Uber Eats, soit l'usine Peugeot. Alors c'est bien de travailler, mais ça ne suffit pas pour apprendre le français. Alors qu'avec FLE Learning, on peut travailler normalement, et apprendre chez soi le français en ligne.


Je suis un vrai mulhousien, quand je vais en Allemagne ou à Strasbourg, je me sens étranger et je dois vite rentrer chez moi, à Mulhouse


  • Et Mulhouse, que penses-tu de cette ville mondiale aux 136 nationalités ? Est-ce que tu as envie de rester ici ?


À Mulhouse, on compte le monde entier, ce n'est pas que la France. C'est sûr. Il faut en profiter. Je trouve que c'est génial. Et oui, bien sûr, je veux rester ici. Après tout ce que j'ai vécu à Mulhouse, je me vois en mulhousien, je suis un vrai mulhousien. et quand je vais en Allemagne ou à Strasbourg, je me sens étranger et je dois vite rentrer chez moi, à Mulhouse


  • Quels sont tes projets professionnels ?


J'ai créé une plateforme de facturation en ligne pour aider les micro-entreprises à créer des factures, des devis, des bons de livraison, gérer des stocks en ligne. C'est gratuit. Je l'ai réalisé il y a quelques jours, j'ai fini ce projet.


  • Tu veux concurrencer Microsoft ?


Non. Il y a beaucoup de services comme ça en ligne, mais c'est payant et en anglais. J'aime bien avoir des outils en français, par exemple pourquoi pas un réseau social français. Pourquoi tout est en anglais ?


  • Mais pourquoi c'est gratuit ? Tu ne veux pas gagner d'argent ?


Ma plateforme est destinée aux micro-entreprises. Pour ceux qui démarrent leurs carrières et n'ont pas d'expérience. Une entreprise classique sait faire des factures. Mais des jeunes étrangers qui viennent d'arriver n'ont pas la capacité de le faire tout seul. Cette plateforme des micro-entreprises doit être gratuite pour eux. Après je cherche un modèle économique, un partenariat, un sponsor quelque chose comme ça, mais pour le moment c'est gratuit.





  • D'autres projets à l'esprit ?


C'est la plateforme FLE Learning. J'étais bénévole aux restos du coeur. J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de monde dans des files d'attente, qui attendait deux ou trois heures, sans rien faire. Beaucoup ne parlent pas français, c'est sûr. J'ai eu l'idée de créer une borne, un point libre d'accès, comme à la CAF ou à Pôle Emploi, mais pour apprendre le français FLE. Alors j'ai créé un kiosque, une borne interactive, appelléé Point FLE, intégré avec FLE Learnic. Mon idée est de déposer cette borne partout, dans les centres sociaux, à la CAF, dans les centres de formation. Comme ça, les apprenants peuvent apprendre le français de façon autonome.


  • Il faut d'autres êtres humains pour apprendre à parler français aussi.


Oui, ça existe en FLE Learning, c'est une plateforme interactive. Ce ne sont pas des cours classiques. Il y a des vidéos animées qui se passent à Mulhouse. Le vocabulaire et la grammaire sont expliqués d'une façon interactive. Il y a des jeux interactifs. L'apprenant qui apprend le français, ne fait pas que regarder ou lire, mais il joue aussi. Je regarde, j'entends, je lis, j'utilise mes bras, mes mains pour jouer. Alors tout le corps apprend le français. Une autre idée à venir, c'est de créer un réseau social pour les Mulhousiens, pour partager les bonnes choses, les mauvaises choses, pour faire attention, pour partager les bons projets, les idées. Alors, on pourrait appeler ça un réseau social sérieux, parce que je commence local, après, si j'arrive, je serai national, puis international.


  • Et sinon ici à Mulhouse, est-ce que tu as des lieux, des endroits que tu aimes ?


J'aime sortir, mais je ne sors pas trop parce que je travaille à distance de chez moi tout le temps. Mais j'aime beaucoup d'endroits, par exemple le Waldeck, le centre-ville, la bibliothèque qui est très belle.


  • On s'est rencontré au centre socioculturel Jean Wagner.


Pour moi le centre Wagner c'est le plus joli immeuble de Mulhouse.


  • L'Origami, le bâtiment de toutes les couleurs et de toutes les formes, qui fait parfois mal à la tête quand on est à l'intérieur ?


A l'intérieur oui. Je travaille parfois avec le centre Wagner. La dernière chose, c'était pendant la fête de quartier. J'ai animé des ateliers robotiques. Parce que j'aime la robotique, c'est un loisir pour moi. La robotique c'est des puces électroniques, connectées avec des moteurs. On imprime les structures en imprimant en 3D. Pour fabriquer un robot, un robot basique, pas un robot comme Elon Musk, c'est un robot de base.


La robotique c'est très facile. En un an j'ai fabriqué 12 robots.


  • Donc quand tu t'ennuies, tu fabriques des robots ? Est-ce que ça sert à quelque chose ou c'est juste pour s'amuser ?


Pour moi, personnellement, pour m'amuser, mais pour les apprenants, surtout les enfants et les ados, il faut apprendre la robotique, parce que c'est le métier de l'avenir. Une personne normale, quand on lui parle de robot, elle pense tout de suite que c'est un truc très compliqué, c'est pas moi, c'est pour Elon Musk, c'est pour Bill Gates, c'est pas pour moi. Mais non, la robotique c'est très facile. En un an j'ai fabriqué 12 robots.


  • Et ils sont en liberté dehors ? Ils se promènent en ville ?


Ah voilà, alors le robot n'est pas un robot inhumain. Ce n'est pas un robot qui marche, qui bouge les bras. Par exemple, une machine qui dessine toute seul, c'est un robot. Une machine qui dessine sur les œufs, par exemple, c'est un robot.


  • Dessiner sur des œufs ? Pourquoi ?


Je le fais pour la fête des Pâques.


  • Où est-ce qu'on peut te contacter, te trouver, découvrir tes robots, tes projets, ton auto-entreprise ?


Mon site internet perso, mon portfolio, c'est 99ideas.co. Pour découvrir l'atelier, il faut prendre contact avec moi ou avec l'association La Passerelle des Talents. Je fais beaucoup d'ateliers, on a beaucoup de partenariats avec plusieurs structures, le centre Wagner, la Poste Europe, il y a un site qui s'appelle Étape Numérique, j'anime des ateliers là-bas aussi.


  • Par rapport au nouveaux arrivants à Mulhouse, enfin on dit primo arrivants pour des étrangers qui débarquent pour la première fois en France. Qu'est ce que tu aurais envie de leur donner comme conseil ?


Dans le public de la Passerelle des talents, dans mon métier de conseiller numérique, j'accompagne beaucoup d'étrangers, beaucoup d'arrivants. Le conseil le plus important: profiter de la période d'attente de l'entretien OFPRA ou de la carte de séjour. Ça peut durer un an, deux ans, trois ans. Alors sans droit de travail, il faut en profiter pour apprendre le français.


  • [Anna] Je suis Anna. J'ai une question sur l'entretien pour obtenir le droit de séjour en France. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? C'était une bonne expérience ? Quelle était la chose la plus difficile ici en France quand vous êtes arrivé ? Est-ce que vous avez ressenti un choc culturel ?


Pour l'entretien, je ne peux pas dire que c'était une bonne expérience, mais c'était une expérience très importante et obligée. Parce qu'après cette expérience, j'aurai une nouvelle vie. Mais je devais parler de toutes mes histoires, la guerre, la révolation, la prison, ce n'est pas très agréable pour les étrangers. Mais c'était une expérience importante. Et c'est la porte vers une nouvelle vie.


Je n'ai pas connu de choc culturel en arrivant en France, mais plutôt un "choc administratif"


  • [Anna] Est-ce que vous avez des recommandations pour des gens qui vont passer l'entretien ? Qu'est-ce que vous pouvez leur recommander pour se préparer ?


Je ne peux pas donner de conseils pour l'entretien parce que c'est un entretien spécifique pour chaque cas. Ça dépend de l'origine, de la nationalité, de l'histoire, ce n'est pas le même cas pour tout le monde. Pour la deuxième question, pas de choc culturel, mais je ne sais pas si on peut parler de "choc administratif". Par exemple, en Syrie, si je veux un acte de naissance, je parle avec quelqu'un, un avocat ou une personne qui connaît quelqu'un qui travaille dans le service. Et tout de suite on me donne l'acte de naissance, c'est très facile. Ici, par exemple, pour prendre des rendez-vous chez un médecin, il faut attendre deux mois. Pour voir un spécialiste, il faut attendre six mois. Pour mes lunettes, j'ai attendu 8 mois pour les avoir. Ça, c'était nouveau pour moi. Et le fait de recevoir des courriers. Chaque jour, il faut ouvrir la boîte aux lettres pour chercher les courriers. C'est nouveau aussi pour moi. En Syrie, par exemple, il n'y a pas de poste.


  • Tu veux dire que l'administration syrienne est meilleure que l'administration française ?


Non, ce n'est pas ça. Non, pas meilleure, ça c'est sûr. Mais plus facile, parce qu'il n'y a rien là-bas en fait. Il n'y a pas de sécurité sociale, il n'y a pas la CAF, il n'y a pas Pôle Emploi, il n'y a rien. Alors c'est plus facile qu'ici. Pour ça, c'est tout nouveau. Quand on arrive en France, c'est tout nouveau. On se sent comme un bébé. Il faut apprendre la langue française. Bon, on sait déjà marcher, mais il faut apprendre tout le reste. Parler, intégration sociale, démarche administrative, tout. Et en plus, il faut travailler.


  • C'est un plaisir pour toi le travail.


Bien sûr.


Merci à la France et aux Français de nous accueillir. La France m'a donné une chance pour construire une nouvelle vie. Mes droits et mes devoirs, c'est de travailler pour la France aussi.


  • Un dernier message pour nos auditeurs, pour nos auditrices, pour les Mulhousiens, les Mulhousiennes, pour Michèle Lutz, pour Emmanuel Macron...


Je vous remercie pour cet entretien. Merci à la France et aux Français pour nous accueillir. La France m'a donné une chance, une bonne chance, pour reconstruire une nouvelle vie. Mes droits et mes devoirs, c'est de travailler pour la France aussi. Alors, je veux dire que les étrangers, les Français, nous sommes tous des citoyens dans ce pays. Il faut travailler ensemble pour faire quelque chose de beau.


  • Merci beaucoup! La France te remercie aussi. Merci Abdelghani et à bientôt à Mulhouse pour de nouvelles aventures, de nouveaux projets, de nouveaux robots, de nouvelles choses à inventer.


À bientôt.




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