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Photo du rédacteurJean-Luc Wertenschlag

L'animal qui tue le plus ? Stéphanie Blandin nous dit tout...

Dernière mise à jour : 17 févr.

Entretien avec Stéphanie Blandin, spécialiste des moustiques, chercheure à l'Inserm (institut national pour la santé et la recherche médicale) et plus particulièrement à l'IBMC, l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire de l'université de Strasbourg. Propos recueillis par Jean-Luc Wertenschlag et Elena Kaigorodova le 6 février 2024 à Strasbourg.






  • [Jean-Luc Wertenschlag] Nous rencontrons Stéphanie Blandin dans le cadre du mois de la santé et de la recherche médicale "À votre santé !". Vous participez à une soirée "Contagion" avec un film plein de moustiques suivi d'une rencontre avec vous le 14 mars 2024 au cinéma Bel-Air à Mulhouse. Mais d'abord, qui êtes-vous, Stéphanie Blandin ?

  • [Stéphanie Blandin] Je suis chercheure à l'Inserm, je travaille plus particulièrement sur les moustiques qui transmettent des maladies aux hommes. Par exemple le paludisme, la dengue, le chikungunya dont vous avez peut-être entendu parler.

  • Mais pourquoi les moustiques ?

  • Donc les moustiques ... a priori, ils nous dérangent parce qu'ils nous piquent, ce n'est jamais très agréable, en tout cas pour certaines personnes. Mais les moustiques sont aussi de très bons vecteurs de maladies. Certains moustiques sont capables de transmettre des maladies d'homme à homme et donc nous les étudions. Parce que généralement ces pathogènes ne sont pas seulement des pathogènes pour les hommes, mais également pour les moustiques. On essaie de comprendre comment les moustiques se défendent contre ces maladies. Peut-être qu'avec ces connaissances, on peut imaginer de nouvelles stratégies pour limiter la transmission de ces maladies par les moustiques ?

on étudie une espèce de moustique dans son écosystème, en faisant en sorte qu'elle ne soit plus capable de transmettre des maladies

  • En France, on a pris l'habitude d'éradiquer les moustiques depuis les années 60. Pour transformer des zones marécageuses en habitat immobilier, de luxe ou pas, pour faire de l'argent. Ça a marché dans le sud de la France où on a essayé de construire au milieu des marécages pleins de moustiques ?

  • Vous avez raison, on a utilisé beaucoup d'insecticides et on utilise encore beaucoup d'insecticides pour essayer de maintenir les populations de moustiques à des niveaux pas trop importants, qui permettent aux gens de vivre, de sortir aussi. C'est une stratégie qui n'est pas complètement écologiquement correct, parce que les insecticides sont souvent à spectre large. Ils vont ainsi éradiquer d'autres espèces, d'insectes par exemple. Cette stratégie est employée dans certains endroits avec succès à vrai dire, par exemple en Amérique du Sud. Cependant, l'impact a dépassé sur les populations de moustiques. D'autres populations d'insectes ont été touchées, et évidemment les oiseaux aussi, qui se nourrissent d'insectes. C'est toute la chaîne alimentaire qu'on perturbe. Éradiquer une espèce de moustique peut éventuellement amener à son remplacement par des autres. Mais peut-être ces espèces là sont-elles plus dangereuses que l'espèce qu'on a éradiquée ? Il faut faire attention, ne pas jouer avec la nature aussi facilement. Disons qu'on n'a pas nécessairement besoin d'éliminer les moustiques. Ce qu'on voudrait, c'est qu'il transmettent pas ou peu la maladie pour laquelle ils sont vecteurs. Ce sont typiquement des recherches, des projets ou des points sur lesquels on travaille au laboratoire. Par exemple, on étudie une espèce de moustique dans son écosystème, en faisant en sorte qu'elle ne soit plus capable de transmettre des maladies.

C'est toute la chaîne alimentaire qu'on perturbe quand on éradique les moustiques, et évidemment les oiseaux qui se nourrissent d'insectes


Aedes (Stegomyia) albopictus surnommé « moustique tigre », bien caractérisé par une ligne blanche longitudinale unique visible sur le scutum (« dos » du moustique). Photo snowyowls CC BY-SA 2.5 licence Creative Commons

  • Comment rendre un moustique inoffensif du point de vue transmission, contagion ?

  • On peut essayer de le rendre lui-même plus résistant aux pathogènes. Cela signifie de modifier son génome pour faire en sorte que le moustique se défende mieux. S'il a des gènes importants pour sa réponse anti pathogène, faire en sorte qu'ils en expriment plus, qu'ils soient plus fort contre les pathogènes. Cela veut dire d'essayer de modifier le génome ...

  • Le génome du moustique ? Une modification génétique du moustique peut se faire sur un spécimen ? Mais sur des millions, des milliards, c'est possible ?

  • Oui c'est possible. Il y a plusieurs stratégies possibles. Celle sur laquelle on travaille au laboratoire s'appelle le "forçage génétique". Cela nécessite de relâcher un petit nombre de moustiques qui vont permettre de répandre au sein d'une population naturelle un "caractère d'intérêt". Donc typiquement dans ce cas-là, d'augmenter la résistance à certains pathogènes.

  • Le moustique n'est pas l'animal favori des Français et des Françaises, ni dans le reste du monde. Néanmoins il doit avoir un intérêt sans doute dans la nature. Mais pourquoi vous, Stéphanie Blandin, pourquoi vous êtes-vous intéressé aux moustiques ? Qu'est-ce qui vous a poussé dans les bras d'un moustique ?

j'ai vécu "la révolution du moustique", on a séquencé, analysé le génome

  • C'est un ensemble de circonstances... quand j'ai fait mon Master, à l'époque un DEA, j'étais passionnée par l'immunologie. J'ai donc fait un master en immunologie. Mon petit ami de l'époque travaillait à l'EMBL, laboratoire européen de biologie moléculaire, à Heidelberg en Allemagne. J'ai donc cherché un stage là-bas, le seul labo qui correspondait à ce que je cherchais travaillait sur les moustiques... Voilà, je suis tombée dans la marmite du moustique ! C'était complètement passionnant, parce qu'à l'époque, j'avais l'impression d'être une femme préhistorique, entre guillemets. Le génome n'était pas publié, nos outils seraient qualifiés aujourd'hui d'ultra basiques. J'ai vécu ce que j'appelle "la révolution du moustique" parce qu'on a séquencé, analysé le génome, on a été capable de faire de l'analyse fonctionnelle de gènes dans le génome et des moustiques transgéniques. Tout ça a été publié, des articles auxquels j'ai moi-même contribué et publié pendant un ou deux ans. C'était vraiment une révolution, ça ouvrait des possibilités incroyables, on ne pouvait même pas y rêver avant ! Je suis restée dans le domaine parce que c'était passionnant, d'un point de vue biologique, du point de vue contribution à la société. Et du point de vue recherche.

On ne risque pas beaucoup avec les moustiques en France, excepté le désagrément de se faire piquer.

  • Aujourd'hui en France, et peut-être dans le monde, le moustique est porteur de maladies. Les médias ont parlé récemment d'une invasion de moustiques tigre qui seraient extrêmement dangereux ... Dans nos contrées occidentales où il fait froid très souvent et où il n'y a pas de moustiques toute l'année, les moustiques sont-ils dangereux ? Ou simplement ils nous piquent et puis ça gratte ?

  • Alors nos contrées où il fait froid très souvent, c'est de moins en moins vrai avec le réchauffement climatique. On va dire qu'il fait de plus en plus chaud et de plus en plus longtemps sur l'année, des conditions particulièrement favorables au développement du moustique. On risque d'en avoir de plus en plus. Premier point. Deuxième point : est-ce qu'on risque beaucoup à se faire piquer par des moustiques en France en ce moment ? On ne risque pas beaucoup excepté le désagrément de se faire piquer. Généralement, le moustique ne transmet rien. Le problème, ce sont des apports réguliers de personnes qui sont infectées parce qu'elles ont été dans une zone où il y avait justement des pathologies transmissibles. Parlons de la dengue. Justement, avec le moustique tigre, Une personne va dans une zone où la dengue circule de façon épidémique. Il va revenir en France après des vacances et peut du coup être porteur du virus. C'est un virus qui est responsable de la dengue. Si cette personne est piquée par un moustique local comme le moustique tigre, elle va pouvoir infecter le moustique et ce moustique ensuite va aller piquer d'autres personnes et donc peut transmettre le virus. Pour l'instant, il n'y a pas un risque très important en France métropolitaine, parce qu'il y a plusieurs actions menées pour limiter ce risque. En particulier tous les cas de dengue ou d'autres maladies de ce type répertoriés en France sont suivis. Des opérations de démoustification sont menées autour des endroits où ces personnes se sont déplacées. On met beaucoup en œuvre pour éviter que les chaînes de transmission se mettent en place. Malgré tout en 2022, on a eu 65 cas je crois de dengue autochtones, c'est-à-dire des gens qui ne se sont pas déplacés dans des zones épidémiques et qui pourtant ont été infectés par le virus de la dengue. C'est dû au fait que des moustiques locaux ont été infectés en allant piqué des personnes qui s'étaient déplacées, et qui ensuite ont transmis aux personnes locales.


Larves de moustiques du genre Culex. Comme le montre la photo, les larves forment des groupes compacts dans les eaux stagnantes. Un changement dans le comportement nutritionnel de ces moustiques permet d'expliquer l'augmentation de la prévalence du West Nile virus en Amérique du nord.


  • Les fake news en matière de science, c'est souvent énorme. On m'a souvent demandé si les moustiques transmettaient le sida. Qu'est-ce qu'on répond ? Et quelles sont les meilleures fake news autour des moustiques ?

  • C'est une grande question, et ça revient. On a même fait un petit texte pour expliquer pourquoi les moustiques ne sont pas vecteurs du virus du sida. En fait, ils sont vecteurs de très peu de virus. Parce que le virus doit être adapté, doit pouvoir se développer à l'intérieur du moustique. Et à l'intérieur du moustique, c'est compliqué ! Quand le moustique prend un repas sanguin infectieux, il faut que le virus ou le parasite ou le pathogène puisse traverser l'épithélium, c'est-à-dire la surface de l'intestin, puis ensuite envahir les glandes salivaires du moustique. Avant que le moustique puisse être infectieux à vis-à-vis de quelqu'un d'autre, ce n'est pas n'importe quel virus qui peut le faire. Ce sont des virus spéciaux et le virus du sida pour le coup n'en fait pas partie, donc il y a pas de risque de ce point de vue là. L'autre chose importante à savoir, c'est que les moustiques n'ont pas assez de virus sur leur trompe - ça s'appelle un probossy -. La trompe qu'ils utilisent pour nous piquer, ce n'est pas une seringue pleine de sang ! Il y a en réalité très peu de cellules qui restent à la surface et donc en fait, même s'il pique une personne infectée et juste après quelqu'un d'autre qui n'est pas infecté, il n'y a aucune chance. La quantité de virus qui pourrait être emmenée est tellement faible qu'il n'y a vraiment aucune chance de transmission par les moustiques pour ce virus en particulier. Ce qui n'empêche pas le moustique tigre et les moustiques cousins comme le moustique tropical "Aedes aegypti" d'être de très bons protecteurs pour certains virus dont on a parlé. On travaille sur la dengue, le chikungunya à l'Université de Strasbourg.

Les maladies que transmettent les moustiques font entre 700 000 et 800 000 morts par an, avec des millions voire des milliards de cas d'autres maladies

  • Quoi d'autre comme fake news ou croyances populaires autour du moustique ? On ne va pas parler de la lune, restons avec les moustiques, est-ce qu'il y a d'autres croyances à rectifier ?

  • J'en vois une en particulier. Quand on demande aux gens : quel est l'animal le plus dangereux du monde ? Ils répondent requin, serpent, etc. C'est faux, ce sont les moustiques ! Je vais juste peut-être corriger cette partie là. Les maladies que transmettent les moustiques font entre 700000 et 800000 morts par an, avec des millions voire des milliards de cas d'autres maladies. C'est assez impressionnant. Sinon des gens disent "est-ce que en fonction de son groupe sanguin on est plus ou moins piqué" ou alors, une collègue qui disait "quand j'ai bu de la bière la veille je me fais plus piquer le lendemain" : il y a des études tout à fait scientifiques et validées, en cours dans d'autres laboratoires où on étudie justement ce qui attire les moustiques chez certaines personnes plutôt que d'autres. Le microbiote de la peau joue, voilà, d'accord. Mais pas le sucre dans le sang, ni le groupe sanguin.

  • Je suis très heureux d'avoir appris grâce à vous Stéphanie Blandin que l'animal le plus dangereux du monde c'est le moustique. Donc on peut les écraser sans souci puisque ce sont des assassins qui tuent 700 ou 800 000 personnes par an ?

  • Je ne vais pas vous dire que vous n'avez pas le droit d'écraser les moustiques qui vous piquent, au contraire. Mais ils contribuent aux écosystèmes locaux et les éradiquer complètement serait probablement une très mauvaise idée.

j'étais l'an passé au cinéma Bel-Air à Mulhouse et j'ai beaucoup apprécié l'interaction avec le public

  • Stéphanie Blandin, pour poursuivre, pour découvrir les mystères des moustiques, rendez-vous le 14 mars 2024 à 20h au cinéma Bel-Air à Mulhouse. Au programme, la projection du film "Contagion" qui raconte un genre de covid avant l'heure puisqu'il a été tourné en 2011. L'histoire, le scénario ressemblent furieusement au covid, donc la réalité a rattrapé la fiction. Après la projection, qu'imaginez-vous comme genre de rencontre puisque vous serez présente à Mulhouse le 14 mars ?

  • Je suis tout à fait ouverte pour discuter de plein de sujets différents. Évidemment s'il y a des questions sur les moustiques, c'est ma spécialité, j'en connais un rayon. Je travaille sur des maladies infectieuses, on a aussi pas mal de connaissances sur les divers modes de transmission, sur l'émergence aussi des maladies. D'où sortent les maladies qui comme le covid sont apparues alors qu'elles n'existaient pas nécessairement dans les populations humaines avant ? On peut discuter contagion, moyen de lutte contre ces maladies, qu'est-ce qu'on met en place, pourquoi c'est important de se vacciner, etc. Quels sont les risques ? Causons de maladies à transmission vectorielle c'est-à-dire par des vecteurs comme comme les moustiques...

Rendez-vous avec Stéphanie Blandin le 14 mars 2024 au cinéma Bel Air à Mulhouse

  • Un dernier message ?

  • À Mulhouse je serai très heureuse, j'ai vécu une expérience similaire l'année dernière au cinéma Bel-Air à Mulhouse et j'ai vraiment beaucoup apprécié l'interaction avec le public, les multiples questions. L'intérêt est double, le film lui-même et puis après la rencontre, je serai ravi de vous retrouver à cette occasion.

  • Merci beaucoup Stéphanie Blandin. Je rappelle que vous êtes chercheure à l'INSERM et plus particulièrement à l'IBMC l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg. On peut vous rencontrer dans le cadre du Mois à votre santé le 14 mars 2024 à 20h au cinéma Bel-Air avec la projection du film contagion qui sera suivi d'une rencontre avec vous. Merci Stéphanie Blandin et rendez-vous le 14 mars 2024 à Mulhouse.





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