Revue de presse • Article paru dans Novo N°73 daté juin septembre 2024
Ton voisin cet inconnu
Quelque part en Alsace, au fond de la vallée de la Bruche, à côté de Schirmeck, presque en Moselle, pas loin du département des Vosges, voici le village de Grandfontaine, sur la route qui monte au col du Donon, mythique sommet celte que les Romains ont consacré à Mercure et où Napoléon III a édifié un pastiche de temple antique. Grandfontaine est connue pour sa mine de fer, plus riche gisement des Vosges pendant des siècles, fermée en 2006. À une petite heure de voiture de Strasbourg, il n’y plus aucun commerce dans cette bourgade qui compte un peu plus de 400 habitants. C’était sans compter l’arrivée d’un nouveau maître brasseur il y a une dizaine d’années…
No future pour Big Pharma
C’est ici que Jean-Yves Salmon, originaire du Ried, a choisi de s’installer. Ce quadragénaire, titulaire d’un DUT scientifique, a tenté une école d’ingénieurs mais l’ambiance trop élitiste donneurs de leçons le pousse à travailler dans l’industrie pharmaceutique pour quelques années. Mais là « où un jenfoutre qui lèche le cul de son maître sera bien mieux vu qu’un gars qui bosse bien », c’est loin du paradis professionnel, et bien trop proche du grand capital : No future pour Big Pharma !
L’eau de source au robinet
À la recherche d’une nouvelle maison, ce père de famille, alors technicien régulateur, découvre en 2009 l’ancienne demeure du maître des forges de Grandfontaine à vendre. Hopla on y va! Jean-Yves s’installe en 2012, proche de la nature, amoureux de la bière, adepte du Do It Yourself, attiré par « l’eau de source qui coule directement du robinet ». Pourquoi ne pas inventer la microbrasserie qui va bien avec? La brasserie de Framont naît en 2017. Jadis, le minerai de fer y était chauffé et refroidi pour créer l’acier. À présent, malts et houblons y rencontrent l’eau de source des minières en ébullition pour en faire jaillir la bière, une fois refroidie et fermentée. C’est aujourd’hui une gamme de douze bières qu’on peut directement acheter à Grandfontaine, certaines parfumées avec le miel du voisin.
Acheteur compulsif de groupes punk
Il aménage deux chambres d’hôtes pour touristes randonneurs ou visiteurs d’un soir. Et crée le café-concert « Le Faucon Malté » à la gloire du « Punk’s Not Dead » tatoué sur son crâne. Ce bar associatif d’une capacité d’une centaine de places, a accueilli plus de 150 concerts, avec des groupes emblématiques comme les Ramoneurs de Menhirs, the Lords of Altamont, les Sales Majestés, the Rumjacks ou Guerilla Poubelle. Les régionaux ne sont pas en reste, exemple avec les mulhousiens the Hook en concert ou Kamarad pour réaliser un clip live. Jean-Yves est un « acheteur compulsif de groupes punk », rêvant d’accueillir les stars mondiales du genre juste sous sa chambre à coucher. Mais pas seulement ! Ouverte au jazz, au blues, au rock et même à la techno, l’association « La Faucon Malté » créée en 2019 n’est toujours pas déposée au tribunal. Heureusement, les particularités du droit local d’Alsace-Moselle autorisent les associations non déclarées, tout-à-fait légales. De la rencontre de deux mondes, entre punk alsacien et droit allemand, est né un enfant associatif hyper actif…
Evidemment, l’arrivée d’un entrepreneur punk ne laisse pas les villageois indifférents. Lorsque la fenêtre derrière la scène reste ouverte par erreur pendant tout un concert hurlant, lorsqu’une soirée techno dure 24 heures, lorsque des rockeurs inconnus au poste se perdent sur la route du Donon, cela provoque certaines incompréhensions. Et si Jean-Yves a lié des relations presque amicales avec la gendarmerie de Schirmeck qui le visite régulièrement, le dialogue avec Philippe Remy, maire de Grandfontaine, n’est pas toujours très constructif. Pourtant, un bistro du village ouvert à toutes et tous serait un lieu unique de rencontre pour les Grandfontains. Joint au téléphone, monsieur le Maire dit apprécier les « bonnes bières de Framont » et assure que si un bar associatif ouvrait, « on ne l’embêtera pas ». Chiche ?
Aujourd’hui, pour éviter les complications administratives, les concerts du Faucon Malté sont devenues des soirées privées réservées aux ami-es de Jean-Yves. Pour découvrir la punkitude de la vallée de la Bruche, pour connaître les concerts à venir, vous savez ce qu’il vous reste à faire… Vive l’amitié qui pogote !
C’est aussi dans la Vallée !
En rut à Ranrupt le 29 juin
Des musiques qui s'accouplent en se foutant des genres, de la joie, de la bonne humeur, des rires et des chants arrosés de breuvages houblonnés. «Allez voir là-haut sur la montagne si j’y suis». Surtout samedi 29 juin 2024 de 14h à 1h. Pour le festival annuel d’une journée à tendance punk naturaliste. Sur une divine prairie avec un dj set des lillois Amikal Sonic. A l’église à 18h, avec le folk post-punk spoken word de Zoé Heselton. Sur la place de la mairie enfin: l’électro-rock de Spleen Club, le rap de Mister E, le punk néo-nasique de Zarga, le post-punk de Pales, l’old wave de KG et le retour d’Amikal Sonic pour le final électro, feat. les projections hypnotiques de VJ Spock. Plus des associations, Ithaque, Papier Gâchette (édition artisanale d’ouvrages et d’affiches), En Rut. A boire et à manger. Une entrée pour le prix modique de rien du tout, c’est gratos !
Nunatak
Faim de médias un peu différents? Osez Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes, qui développe et partage critiques et opinions depuis les régions montagneuses, en opposition au monde tel qu’il se présente, pour dévier du sentier balisé des flux de la marchandise et de l’autorité, attaquer ce qui sépare les uns des autres, raconter les ruisseaux, les êtres, les arbres ou les rochers… La rédaction disséminée entre Alpes, Pyrénées et Vosges s’empare de sujets comme le syndicat des gardien-ne-s de troupeaux, les procès en sorcellerie en Alsace aux XVIe et XVIIe siècles ou la légion étrangère qui achète une ferme dans les Cévennes. La vallée de la Bruche sera-t-elle le berceau d’une nouvelle révolution paysanne?