Lautenbach, dans la vallée vosgienne de Guebwiller (Haut-Rhin, Alsace, Grand Est). Entretien avec Philippe Hecky, maire du village. Transcription d'une interview radio réalisée le 4 décembre 2024 (à écouter en podcast si vous préférez). Avec la participation d'Éric Hueber, Sixtine Schwarte, Louis Priem et Jean-Luc Wertenschlag.
L'idée est de découvrir le travail d'un maire de village, Philippe Hecky, et de voir quelles sont les difficultés, les avantages et les ressources que l'on peut trouver dans ce village de Lautenbach. Commençons par une présentation : Philippe Hecky, qui êtes-vous ? Quel est votre parcours, comment devient-on maire d'un village comme Lautenbach ?
[Philippe Hecky] Alors j'étais Mulhousien d'origine et je suis arrivé dans la vallée il y a 29 ans, l'an prochain, ça fera 30 ans. Je suis instituteur de profession. J'étais instituteur pendant 9 ans en zone d'éducation prioritaire dans le quartier Brossolette à Mulhouse, et, ma famille s'agrandissant, on a fait le choix de venir nous mettre au vert. Et de citadin, on est devenus néo-ruraux. On est arrivés en 1995 dans cette commune, avec immédiatement un accueil vraiment très agréable, notamment dans le quartier où l’on est arrivé. C'était intéressant pour les écoles, car on avait trois enfants de plus pour la commune. Et j'ai eu un poste d'enseignant dans le village de Schweighouse. Il faut savoir que la commune de Lautenbach, c'est en fait deux villages, Lautenbach et Schweighouse. On est environ 1500-1550 habitants, à peu près également répartis. J'ai travaillé pendant 23 ans dans l'école primaire de Schweighouse. Quand mon poste a fermé, j'étais un peu une victime d'une mesure d'Emmanuel Macron, certes une mesure intéressante, qui a été de dédoubler les classes de CP dans les zones prioritaires des villes. Mais comme ils ont fait ça à moyens constants, il a fallu venir gratter dans le rural. Et c'est en partie le rural qui a été victime de ces suppressions de postes.
On a supprimé des postes dans les villages pour les réaffecter dans les villes ?
[Philippe Hecky] C'est mon analyse, l'institution ne va pas voir les choses de la même manière, évidemment, mais c'est ce qui s'est passé. On a compté arithmétiquement le nombre d'enfants de la commune et on a divisé ça par un nombre d'enseignants, alors que la réalité du terrain du rural, c'était des classes à plusieurs niveaux, avant la suppression de postes, et ça s'est encore compliqué après, évidemment. Par contre, cette mesure, ensuite, j'en ai été bénéficiaire parce que j'ai fait une année blanche dans une autre petite commune. Et l'année suivante, j'ai postulé pour un poste en réseau d'éducation prioritaire sur Mulhouse, dans la même école que celle que j'avais quittée 23 ans auparavant. J'ai eu un CP à effectif dédoublé, donc ça veut dire 14 enfants. C'était des conditions de travail formidables, dans un quartier que j'ai toujours apprécié, dans lequel j'étais encore connu 23 ans après. Et c'était un vrai bonheur de finir professionnellement dans ces conditions. J'ai fait deux ans en REP+, donc au total j'ai fait 11 ans de quartier prioritaire, 24 ans de rural, et voilà, c'est globalement ma carrière professionnelle. Quand la retraite est arrivée en 2020, l'année des élections municipales, j'ai embrayé sur un projet communal. Mais auparavant, de 2001 à 2008, j'avais déjà été conseiller municipal à Lautenbach, où l’on avait fait beaucoup de bon boulot. Et je ne voulais pas repartir pour un deuxième mandat de conseiller municipal à ce moment-là en 2008, parce que je m'étais énormément investi et j'avais trois ados à la maison. Et il y avait certaines choses qu'il fallait un petit peu réguler.
Brossolette, un quartier mulhousien que j'ai toujours apprécié
Donc, Philippe Hecky vous devenez maire de Lautenbach en 2020. Personne d'autre ne voulait le poste ? Comment cela s’est-il passé ? Comment devient-on maire d'un village dont on n'est pas originaire, en venant de plus de la ville, ce qui est parfois mal perçu ?
[Philippe Hecky] J'étais quand même identifié dans la commune parce que je participais à plusieurs associations. On a une bibliothèque municipale à Lautenbach, ce qui est une curiosité ou une rareté. J'étais dans une association qui prônait la transition, « Florival en transition ». Je militais pour le retour du train, j'étais très connu au niveau de l'école, au niveau périscolaire. Je suis persuadé que ça a pu aider. Alors qu'est-ce qui a fait mon élection ? En fait, quelques mois avant l'élection de mars, en septembre 2019 donc, on a construit un projet, et c'est vraiment le projet qui a fait le lien entre les personnes. Ce projet s'est construit avec les personnes qui étaient volontaires. Il n'y avait pas de candidats maires ou mairesse à ce moment-là. C'est au fur et à mesure de l'évolution du projet, notamment des candidatures, parce qu'il y a eu autour de ce projet deux candidatures. Je n’étais pas candidat à ce moment-là, et ces personnes à un moment donné se sont dit « non, ça va être trop, je ne peux pas y aller, j'ai ma vie active ». Et à ce moment-là, je trouvais le projet super intéressant. Un projet sur deux axes, un axe environnemental et un axe citoyen. Et il me semblait, à moi et aux autres, qu'il ne fallait pas abandonner ce projet. On ne savait pas quelle liste il y aurait en face mais on tenait à ce projet. Donc au mois de janvier, on se rend compte qu'on a bien bossé, qu'il y a vraiment moyen de faire des choses intéressantes, mais qu'on n'a pas de tête de liste. Et en faisant le tour de table, j'étais à peu près le seul qui pouvait se rendre disponible et qui était prêt à accepter ce type d'engagement. On en parlera tout à l'heure mais c'est un réel engagement de tous les jours. Et c'est comme ça que je suis devenu non pas le candidat par défaut, mais le candidat de cette liste, après deux personnes qui ont estimé que c'était trop compliqué.
C'est comment d’être maire d'un village de 1500 habitants dans la vallée de Guebwiller ? Est-ce un boulot à plein temps ? Que cela représente-t-il comme pouvoir ? Qu'est ce que cela signifie au quotidien ?
[Philippe Hecky] Au quotidien, c'est vraiment un engagement très important au niveau du temps que j'y consacre, sur les responsabilités aussi. Maire d'une petite commune, c'est un boulot énorme. Je me pose la question : comment font les élus qui sont encore en vie active ou qui ont plusieurs casquettes? Moi, en tout cas, je me consacre entièrement à mon village. Je dois préciser que ce n'est pas un village, mais deux, Lautenbach et Schweighouse. 1600 habitants, avec tout en double. On a deux écoles, deux églises, deux cimetières, un peu de commerces. Il y a une variété de choses à faire, d'activités. Vous me posez la question, que cela représente-t-il ? C'est énormément de temps, beaucoup de charge mentale, quand on arrive dans une fonction de ce type, pour assimiler toute la partie juridique, la gestion du personnel, gérer une équipe municipale aussi. Je n'étais pas habitué à ça. Mon public naturel, c'était les enfants pendant 38 ans. Et là, je gère une équipe d'adultes. J'ai appris en 4 ans beaucoup de choses sur la nature humaine, que j'ai un peu découvert. Mais c'est énormément de temps, d'investissement et aussi beaucoup de responsabilités bien sûr. Le maire est responsable de ce qui se passe dans sa commune à tous les niveaux. Je vais vous énumérer tout à l'heure tous les champs d'action dans une petite commune. Il faut savoir qu'à la différence d'une ville moyenne ou d'une plus grande ville, chez nous on fait à peu près tout, alors qu’à Guebwiller ou ailleurs, il y a des services cloisonnés avec des agences spécialisées. Ici, on a certaines compétences qui sont parties vers la communauté de communes, mais on gère au quotidien énormément de choses. Le bureau des plaintes est notre secrétariat. La porte s'ouvre et un administré vient pour son petit souci personnel. C'est souvent des soucis très individuels. Mon équipe et moi sommes là plutôt pour élargir au collectif, pour une notion de service public, et d'élargir le commun, mais c'est compliqué. Ensuite, il y a des chantiers ouverts chez nous, c'est du boulot de suivi. On a de grands projets au niveau de la commune, ça veut dire des réunions préalables très nombreuses. Une commune, ce n'est pas comme une entreprise ou comme une famille. Pour le moindre dossier, il faut des études qui permettent d'aller chercher des subventions. Donc même sur le temps de l'action, ce qui peut être fait sur 6 mois, des travaux au domicile par exemple, mais dans une commune, ça dure un an et demi, deux ans, entre le début des études et le début des réalisations. Et dans l'intervalle, on bosse, on bosse. La charge s'accumule. Je suis tous les jours en mairie, sauf le dimanche évidemment. C'est un pacte familial, parce que j'ai aussi une épouse. Je ne compte pas mes heures, je ne saurais pas évaluer le volume horaire. C'est une chose, le temps qu'on passe. Mais une autre chose, c'est vraiment la charge, les responsabilités. Et essayer d'être juste.
Maire d'une petite commune, c'est un boulot énorme.
Philippe Hecky, maire de Lautenbach, vous êtes aussi patron et employeur d'une équipe d'employés municipaux. Que cela représente-il ? Combien de personnes travaillent pour la municipalité ici à Lautenbach ?
On a 10 agents parmi nos agents territoriaux, 3 agents administratifs, 3 secrétaires dont une secrétaire générale. Mais il faut vraiment le mettre en parallèle avec ce que j'ai déjà développé. On a 2 villages. On a 2 agents techniques. Ce sont les personnes qui s'occupent de la voirie, de l'urbanisme, des bâtiments, qui sont dans les rues, sur les espaces verts. Deux personnes sur deux villages, une personne par village. Comme on a deux écoles maternelles, on a deux aides maternelles. On a du personnel de service aussi pour le nettoyage. Sur les 4 ans et demi de mandat, j'ai été appelé à recruter 3 personnes, c'est aussi un aspect du boulot. On constitue un jury, on réfléchit à un profil de poste, on reçoit des candidats et on recrute. On se dit souvent que c'est une loterie, mais globalement, on est assez satisfait de nos recrutements.
Et puis il y a aussi l'équipe municipale, les élus. Vous êtes une vingtaine. Comment cela se passe-t-il ? Il y a des adjoints comme partout ailleurs. Comment ça se passe, avec cette équipe municipale ? Sont-ils tous issus de votre liste ? Y a-t-il une opposition à l'intérieur du conseil municipal ?
Il y a 19 élus dans le conseil municipal de Lautenbach. Parmi ces 19 élus, il y a 16 élus de notre liste et 3 élus sur une liste d'opposition qui s'appelle simplement « Participer ». Ils se revendiquent opposants, ça a le mérite d'être clair. Il faut dire que sur les 16 membres de mon équipe, il y avait trois conseillers de l'équipe précédente, ce qui veut dire 13 nouvelles personnes qui arrivent dans un projet sans avoir jamais pratiqué ce type de choses. Ils découvrent les réunions, les thématiques, la globalité du mandat, mais arrivent avec un idéal de fonctionnement différent de ce qui se produit dans les communes avoisinantes. Dès l'origine, dès la mise en place, on a mis en place une gouvernance particulière. Nous sommes partis en formation, les 16, pour arriver à déléguer les choses et à les découvrir ensemble. Il y avait jusqu'au mois dernier 4 adjoints et des conseillers délégués. Les adjoints, conseillers délégués et le maire bénéficient d'indemnités. Des indemnités qui ne sont pas énormes par rapport à l'investissement en temps et en travail. Moi, j'ai 1313 euros nets chaque mois. Un fonctionnement normal sur une commune, le maire et les adjoints ont une enveloppe d'indemnités. Nous avons voulu élargir cela aux conseillers délégués. Donc on a 4 adjoints, le maire et 7 conseillers délégués. Dans notre équipe de 16, nous sommes 12 à être indemnisés. Mais c'est le maire et les adjoints qui ont partagé leurs indemnités. Ça n'a donc pas été une charge supplémentaire pour la commune. Ainsi, pour mes 1300 euros, il y a eu une réduction, je pourrais prétendre à 1600 euros. Un adjoint, c'est à peu près 400 euros. Et un conseiller délégué, c'est symbolique, une centaine d'euros, ou un peu plus.
Je reçois 1313 euros nets chaque mois
Tout ce monde au conseil municipal, j'imagine qu’ils ont évidemment un lien avec le village de Lautenbach. Mais y a-t-il des gens qui travaillent ici ? Ou bien vont-ils tous bosser ailleurs ? À quoi la vie ressemble-t-elle dans un village de la vallée ? Tout le monde file-t-il tous les matins bosser en voiture au loin ?
On a des actifs, on a des gens qui travaillent chez eux, donc ici à Lautenbach-Schweighouse, une conseillère déléguée notamment. Une autre conseillère travaille au périscolaire de la commune. Des retraités, qui ont un peu plus de temps que d'autres. Quelqu'un travaille à Buhl, pas très loin, va à vélo tous les jours au boulot. Globalement, les conseillers ne travaillent pas très loin d'ici, mais peu d'entre eux travaillent dans la commune.
Et vous parlez en priorité politique d'environnement et de citoyenneté, mais que cela veut-il dire dans le concret ? Comment, en tant que maire et conseil municipal d'un village d'un peu plus de 1500 habitants, dans la vallée du Florival, s’empare-t-on de l’environnement ?
Il y a vraiment différents thèmes. Dès le début, nous nous sommes positionnés dans les grands thèmes de la transition, autant sur les déplacements que sur l'alimentation, les déchets et l'énergie. À l'époque, dans « Florival en transition », avant d'être élu, on avait vraiment épluché le manifeste pour la transition de Rob Hopkins, l’un des initiateurs de la transition et qui a fait en sorte qu'il y ait eu beaucoup de communication là-dessus. En arrivant, la toute première mesure prise, il me semble, c'était de supprimer une navette de bus qui circulait entre Lautenbach et Schweighouse. C'était une navette de transport scolaire qui emmenait nos écoliers d'un village à l'autre. Cette navette, c'était un gros bus pour très peu d'enfants. Il faut savoir que certains enfants de Lautenbach allaient au CM1-CM2 sur Schweighouse. Et dans l'autre sens, des enfants de Schweighouse devaient aussi être véhiculés. Ça faisait plus de 20 ans que cette navette existait, à prix d'or, 4000 euros par an. 4 fois par jour, un bus traversait la commune avec peu de gamins dedans. On a voulu réagir mais en parallèle on a aussi fait en sorte de sécuriser. On souhaitait vraiment mettre les enfants sur les vélos, notamment les plus grands. Donc on a accompagné cette suppression de navettes par un aménagement routier, un "chaucidou" ─ c'est une chaussée à voie centralisée avec une seule voie pour les véhicules, deux rives sur chaque côté pour les piétons et cyclistes prioritaires. On l'a fait dès la première année. Et en même temps, on a donné le signal aux familles en offrant des équipements aux enfants cyclistes. Équipements de pluie, équipements de sécurité. Et ça, on le fait depuis ce moment-là. C'était vraiment la première mesure, on a supprimé ce bus qui polluait, qui coûtait très cher. Ensuite, on a installé des panneaux photovoltaïques sur notre bibliothèque municipale. On est assez limité sur le développement du photovoltaïque ici même dans Lautenbach parce qu'on a un bâtiment qui touche notre mairie, la collégiale qui est un peu le joyau touristique de notre village. Et cette collégiale a un périmètre de 500 mètres tout autour, soit 1 km de diamètre dans lequel on est tenu à des restrictions sur notamment le bâti. On ne peut par exemple pas donner d'autorisation pour des installations de panneaux solaires, sauf s'il n'y a pas de co-visibilité. C'est un peu compliqué...
[Éric Hueber] Et la collégiale a perdu son statut de collégiale ? Bizarrement, quand on fait des recherches en ligne, on n'a plus la mention de collégiale. Est-ce que cela a évolué ? Est-ce que les règles liées au patrimoine ont changé ?
[PH] Non. Je ne sais pas quand elle aurait perdu son statut. Ça date peut-être d'hier, je ne suis pas informé. Elle n'a pas perdu son statut de collégiale, mais en tout cas, c'est un monument classé "monument historique", et cela impose des restrictions. C'est très compliqué. On étudie actuellement le périmètre des abords (PDA). C'est l'architecte des bâtiments de France, qui est le responsable départemental dans chaque département, qui délivre les autorisations sur toutes sortes de choses, isolation extérieure, menuiseries, installations de panneaux photovoltaïques, dans ce diamètre de 1 km. Il y a 3 ans, j'ai assisté à une réunion de cet architecte avec tous les élus de la vallée, qui nous indiquait que, globalement, il y aurait davantage de souplesse pour obtenir des installations possibles. Il se trouve que ça n'a pas beaucoup bougé en 3 ans. Ce périmètre, actuellement totalement arbitraire, est un cercle tracé sur un plan. Il va bouger et va être réduit. Là, en janvier 2025, notamment avec le maire de Lautenbach-Zell, aussi impacté par ce périmètre, alors qu'il y a toute une ripisylve [espace d'échanges, appelé écotone, entre les milieux terrestres et le milieu aquatique] qui cache la collégiale du regard. Ça veut dire que pour les administrer, on ne peut pas faire comme on voudrait. Il y a vraiment des restrictions. On est en train de regarder ce qu'on peut proposer à l'architecte des Bâtiments de France pour réduire ce périmètre et que ça devienne un périmètre des abords. Donc on est vraiment aux abords du monument historique.
la transition énergétique est prioritaire par rapport au patrimoine
Entre jouer le patrimoine des vieilles pierres séculaires et avancer sur l'installation de panneaux, mon choix est clair: la transition énergétique est pour moi prioritaire par rapport au patrimoine. Sachant qu'actuellement, on a un chantier sur notre collégiale qui dure en tout 3 ans. Ça coûte très cher aux contribuables, on va faire en sorte que d'ici un an notre joyau sera encore plus éclatant que ce qu'il était. Mais je pense qu'il faut vraiment juguler les deux et réduire un maximum ce périmètre. Parce qu'on a de la demande et c'est tout à fait légitime. Nous, on inciterait même les gens à mettre des panneaux par certaines petites mesures. On a un petit coup de pouce pour les habitants qui font ce type d'installation. On souhaiterait vraiment que ça bouge, mais très correctement, pas juste à la marge. Donc on comprend que ça prenne du temps les décisions, parce qu'il faut jongler avec des règles de planisme, de patrimoine, d'environnement. Ce n'est jamais simple. Voilà, c'est un dossier parmi tant d'autres, et on va dire qu'aucun dossier n'est simple. Du coup ça veut dire prendre connaissance des choses, les assimiler, aller les discuter, les défendre.
[Éric Hueber] Et ça veut dire qu'en tant que maire, ça risque d'être frustrant de se lancer dans une telle mission si on est impatient. Parce que finalement, ça doit être important d'être patient...
Oui, mais quand on lance un dossier, je ne suis pas à attendre son évolution. On a tellement de dossiers en cours, c'est même assez intéressant que ça puisse se décaler un peu sur le temps. Parce que si tout nous tombait dessus en même temps... le temps est différent, c'est un temps plus long, mais c'est le temps des services, le temps des échanges. Quand on est autant lié à des subventions, c'est un temps assez long aussi. On a plusieurs partenaires, par exemple sur ce projet de la Collégiale ─ je précise que ce n'était pas notre projet, mais ça nous a été imposé en début de mandat au niveau préfectoral. Cette restauration est importante, elle coûte 1,8 million d'euros, dont énormément d'argent public. Ça, c'est ce qui se passe à Lautenbach. Mais il y a de très nombreux monuments historiques qui sont restaurés avec énormément d'argent public. Si l'argent va vers là, il n'ira pas ailleurs ! En fait, on a été forcé de prendre la maîtrise d'ouvrage de ces travaux parce que notre Conseil de Fabrique [organe de gestion au sein des paroisses catholiques, responsable de l'administration des biens et des revenus pour l'entretien des édifices religieux] a reçu un leg important. Et au niveau préfectoral, ils ont estimé que le Conseil de Fabrique n'était pas en capacité de gérer ce gros dossier, parce que c'est très compliqué d'aller à la chasse aux subventions, de suivre le dossier. Il faut de l'assistance à maîtrise d'ouvrage. C'était quelque chose d'énorme. Du coup, ce dossier qu'on ne souhaitait pas forcément, on en a hérité et on bosse dessus, chaque semaine, depuis trois ans. C'est aussi une partie des choses qui fait qu'on ne peut pas se consacrer autant qu'on le voudrait à d'autres dossiers. Mais bon voilà, on a accepté.
[JLW] Si on parle de transport et d'argent public, il y a un dossier qui traîne depuis des années: le retour du train dans la vallée, pour commencer à Guebwiller, puis ensuite peut-être un peu plus loin. Mais qu'en est-il ? Parce qu'aujourd'hui, pour se déplacer en partant de Lautenbach, il y a quoi ? La voiture essentiellement, le vélo pour les motivé-es, peut-être encore un bus ? Comment cela se passe? Le transport en commun est-il une priorité ? Que fait-on quand on est maire de Lautenbach pour faire évoluer ça ? Y -t-il a un collectif ? Êtes-vous plusieurs à vous battre là-dessus ?
39000 habitants, c'est la plus grande agglomération du Grand Est qui n'est pas desservie par le train
Sur le retour du train ou sur la circulation dans la vallée, il y a beaucoup de choses à dire. Lautenbach était le terminus de la ligne Bollwiller - Lautenbach. C'est à Lautenbach que descendaient tous les gens qui ensuite partaient en montagne ou simplement allaient se mettre au vert. Cela représentait une activité énorme pour le fond de vallée, avec beaucoup de fermes-auberges qui, pour certaines, ont périclité. Oui, bien sûr, il y a des conséquences économiques. Je pense que le train ne reviendra jamais à Lautenbach, mais on est très militants pour le retour du train de Bollwiller jusqu'à Guebwiller. Ça fait des années qu'on est quelques-uns dans des collectifs, notamment Florival, c'est une association qui est très active sur ce dossier. C'est la plus grande agglomération du Grand-Est, qui n'est pas desservie... Et les vallées qui nous encadrent, Munster et Thann, ce sont des agglomérations qui regroupent moins d'habitants. et qui elles sont pourvues d'un train. Alors que chez nous, sur notre bassin de vie, il y a à peu près 39 000 habitants. Comme je le disais tout à l'heure, j'ai eu 3 enfants, qui ont été étudiants et j'ai passé dix ans de ma vie à les emmener en voiture à Colmar ou à Mulhouse pour prendre un train pour Strasbourg ou pour Besançon. S'il y avait le train, ça pourrait aussi permettre notamment aux demandeurs d'emploi ou aux gens qui travaillent de circuler autrement qu'en voiture. Je pense que c'est tout à fait la direction à prendre. Au niveau communal, on a pu influer sur une petite chose, le prolongement d'une voie verte. Il y avait une interruption entre le village précédent, Buhl et notre commune. On avait des pistes cyclables, mais qui étaient interrompues. On a pu réveiller un dossier qui a mis 13 ans à avancer. On a travaillé pendant 3 ans dessus.
Et pour combien de mètres ?
On va dire un bon kilomètre, voire un peu plus. Je n'ai pas la distance exacte. Mais ça voulait dire de l'argent public, on choisit où on le met. Nous avons vraiment défendu ce projet. Maintenant, cette jonction est intégrale et permet au haut de la vallée, donc Lautenbach-Zell et Lautenbach, d'avoir une continuité cyclable jusqu'à Guebwiller. C'est un projet qui a abouti cette année par l'ouverture de ce petit tronçon de voie verte. Ce n''est pas simple, mais ce n'est jamais simple. L'idée, qui rejoint un peu ce que je disais vraiment au départ sur les enfants cyclistes, était que si au primaire ils vont à l'école à vélo, on pense qu'au collège ils iront à vélo aussi. D'où l'intérêt de cette voie verte aussi pour les écoliers. Et puis ils iront peut-être au lycée à vélo, c'est vraiment faisable. Je suis moi-même cycliste, même si on a une voiture dans notre foyer, je trouve que ça peut fonctionner comme ça. Je ne veux pas dire que ça devrait être une règle. Mais les arguments du type, « on ne peut pas faire du vélo toute l'année », c'est archi-faux. Il y a des pays, Hollande, Belgique, où c'est pratiqué toute l'année. C'est pour ça aussi qu'on a équipé les enfants de tenues de pluie. Il y a des moyens d'action.
les arguments du type « on ne peut pas faire du vélo toute l'année », c'est archi-faux
[JLW] Pour en revenir au train, qui décide pour qu'il arrive à Guebwiller ou non ? C'est la région Grand Est qui finance, l'Europe, l'État ? Parce que ça traîne depuis longtemps. Pour le raccordement ferroviaire de l'Euro Airport Basel Mulhouse qui risque de coûter 500 millions d'euros, il n'y aura aucun souci, l'argent va tomber du ciel. Mais à Guebwiller, comment fait-on pour faire avancer ça ? Qui décide et qui bloque ?
C'est le contrat État-Région, c'est l'État et la Région Grand Est qui financent globalement ces travaux. On parle de 30 à 40 millions d'euros d'investissement. Et plus le temps passe, plus ce montant augmente. Ça devient une espèce d'épouvantail, presque un épouvantail à moineaux, parce que clairement il y a un besoin et il y a des solutions. Il y a des gens qui se battent depuis des années pour démontrer que c'est faisable et que ça répond à un besoin. Alors, où ça coince ? On a eu des hauts et des bas dans ce dossier. C'était inscrit dans le contrat État-Région précédent. Ça a été retiré, c'est revenu. C'est vraiment les montagnes russes, ce dossier. Alors, je pense que c'est aussi aux élus locaux de peser. Par exemple, notre commune a voté une motion sur le retour du train, avant qu'on soit, nous, aux commandes. À notre demande, la communauté de communes l'a voté aussi. Mais ensuite, il faut que nos élus régionaux et départementaux soient convaincus et prennent leur bâton de pèlerin et aillent défendre le projet. Ça, c'est pour la partie transport, des combats à mener encore et encore.
Une autre priorité que vous avez affichée lors des élections municipales, c'est le côté citoyen. Qu'est-ce que cela veut dire ? Parce qu'aujourd'hui, la politique est souvent perçu comme horrible, sale, on n'a pas envie de voter, la politique n'a pas une bonne image de marque.
C'est un peu dommage. Je pense que chacun devrait s'investir, à un moment donné. Tout ce qui circule sur la corruption, sur ces élus qui ne font pas le travail, à ma connaissance, ici, dans mon secteur de vie, dans notre communauté de communes, je ne vois pas du tout de choses de ce type-là. Mais j'ai l'impression que cette remarque concerne le niveau national. C'est ce qui est le plus médiatisé, car c'est ce qui fait vendre, les gens cherchent ce genre d'informations croustillantes. Et on peut le déplorer parce que ça porte préjudice. Après, jusque dans nos communes au fin fond de vallée, on a des habitants ou des citoyens qui refusent de s'impliquer parce qu'ils sont lessivés par ce bashing de la politique. Je pense que c'est véhiculé par les médias. C'est du croustillant, mais qui ne correspond pas à la réalité des choses. Et ce serait intéressant que chaque citoyen, ou une majorité, se rapproche de la vie politique. C'est ce qu'on a essayé de faire, mais c'est très compliqué. Alors je vais essayer de dérouler ça. Notre idée, c'est vraiment associer les administrés, c'est-à-dire les habitants, aux affaires de la commune. Quand on a démarré notre mandat, on a fait un Stammtisch avec Jo Spiegel qui était venu ici, qui était un peu « un champion de la démocratie participative locale sur Kingersheim ». Il est venu nous expliquer que ce n'est pas facile à mettre en place, d'associer les citoyens, que c'est un travail. Il faut être formé, il faut savoir le faire. On est arrivés novices, la fleur au fusil, on pensait que ça allait se faire comme ça, que les gens sauteraient tout de suite dans nos projets et viendraient se mettre autour d'une table pour apporter leur part de participation citoyenne. C'est ce qu'on souhaitait vraiment...
On est arrivés novices, la fleur au fusil, on pensait que ça allait se faire comme ça, que les gens sauteraient tout de suite dans nos projets et viendraient se mettre autour d'une table pour apporter leur part de participation citoyenne
Alors juste là, je diverge un peu pour vous expliquer l'organisation de gouvernance de notre conseil municipal. On a plusieurs instances. La plus petite, c'est ce qu'on appelle les GT, les groupes de travail, qui sont ouverts aux administrés. On a certains groupes de travail qui fonctionnent vraiment avec des administrés au niveau de la vie communale, sur la circulation, sur le stationnement. On en a d'autres où on a très peu de personnes suffisamment intéressées ou qui puissent donner du temps. Donc notre premier cercle, ce sont les groupes de travail. On en a vraiment de nombreux. Ça peut être un groupe de travail sur tout le mandat, comme par exemple la circulation, comme ça peut être un groupe de travail momentané. On a des groupes de travail sur le périscolaire, sur les projets à thème ou les questions. Une fois par mois on réunit ces groupes de travail, et c'est à l'instance politique du conseil municipal qu'ils rendent compte de leur activité, où les décisions se prennent collectivement. On est ouvert aussi comme conseil municipal, la salle est ouverte aux habitants qui peuvent participer. Et ensuite, en parallèle, un autre groupe de travail s'appelle la commission exécutive: c'est le maire et les adjoints qui, une fois par semaine, évacuent les affaires courantes, mais proposent aussi d'alimenter ces groupes de travail réunis sur des projets. Et au final, l'instance de décision, c'est le conseil municipal. Il faut réglementairement 4 conseils municipaux par année, une fois tous les 3 mois, c'est le minimum. C'est globalement notre organisation.
Ce que je veux dire, c'est qu'on aurait souhaité dès le départ avoir beaucoup de gens, dans nos groupes de travail. Mais on s'est rendu compte que ça ne correspondait pas exactement à la demande des gens. Certains nous ont déjà dit « mais nous on vous a élu, on vous fait confiance, allez-y, faites ». Mais tout le monde n'a pas voté pour nous, donc il y a aussi toute cette part de gens qui ne participeront jamais. Et puis, ça veut dire que quand on rejoint un groupe comme ça, on s'engage à donner du temps, à apporter des idées, à discuter avec des élus. Et dans un petit village, on a peut-être toujours les mêmes têtes, c'est-à-dire qu'avec les gens qui sont actifs on risque d'être dans un entre-soi. Ça se retrouve dans le monde associatif aussi. On se connaît les uns les autres.
Comment faire pour aller chercher ceux qui ne sont pas dans cette culture de l'échange ou de la co-construction ? Existe-t-il aujourd'hui dans le village des lieux de rencontres, d'échanges et de débats en-dehors des groupes de travail ? Y a-t-il un bistrot ? Comment peut-on se rencontrer et causer entre villageois ou même avec des citadins qui viennent à la rencontre des gens d'ici ?
On est un village dans lequel il y avait beaucoup de bistrots. Il en subsistait un jusqu'il y a 2 ans, qui était à peu près le seul lieu convivial non-municipal. Au niveau de notre équipe, c'est un projet pour 2025 qui devrait démarrer le 25 janvier. On fera une première séance de ce qu'on appelle un bar à jeu. On a dans notre salle polyvalente, un petit bar d'accueil. C'est un groupe de travail qui a monté le projet. L'idée étant qu'un dimanche après-midi, avec une fréquence à définir, on invite les gens à venir boire un verre et à jouer. Jouer, c'est un peu le prétexte, pour refaire du lien social intergénérationnel. Et c'est vraiment l'intention de ce projet, parce qu'on n'a plus de lieu de rencontre. On a un énorme presbytère, à côté de notre collégiale, qui est, je pense, le plus grand de la vallée. C'est une ruine totale, dont la réhabilitation permettrait vraiment d'aller vers ce type de projet. Mais c'est un énorme budget à trouver. Ce sera un projet ultérieur. Effectivement, on n'a pas de lieu de convivialité pour l'instant.
on n'a plus de lieu de rencontre, on n'a pas de lieu de convivialité pour l'instant
Après, au niveau municipal, nous avons des réunions publiques, notamment sur l'éclairage public ou sur le réseau de chaleur, qui est un de nos grands projets de l'année à venir. On a mis en place des tournées villageoises. Des membres du conseil vont se promener un samedi matin communiquer par secteur, par quartier. Donc là, on a du café-gâteau, on se promène et on va à la rencontre des gens. Et c'était Jo Spiegel qui nous avait soufflé l'idée, il faisait ça à Kingersheim. Plutôt que d'attendre que les gens viennent vers vous, aller vers les gens. Ça a le mérite d'exister, on rencontre à chaque fois une petite dizaine, une quinzaine de personnes. Globalement sur l'échange, c'est plutôt des affaires personnelles. Il y en a quelques-uns qui arrivent à dire, « oui c'est pas mal ce que vous faites, on suit un peu ». Voilà globalement ce qui est en place. Mais un des prochains projets, c'est vraiment ce bar à jeu, pour qu'il y ait de la mixité, du mélange, notamment entre les ados, les grands jeunes, avec des papys, des mamies, ou aussi peut-être des enfants qui viennent jouer. On mettra ça en route en janvier 2025. Et là aussi, dans ce groupe de travail, il y a des administrés qui sont autour de nous pour construire ce projet. La vie associative est aussi très dynamique.
Plutôt que d'attendre que les gens viennent vers vous, aller vers les gens
Il y a une activité associative assez dense. Cela permet aux villageois de se retrouver et de discuter après divers événements, que ce soit des concerts, des soirées, théâtre ou autre ?
Tout à fait. On a aussi un groupe de travail qui s'occupe des manifestations culturelles. Dès l'origine, l'idée c'était vraiment de la culture pour tous et gratuite. Avec des déambulations dans le village, avec des organisations de spectacles et la vie associative qui est très importante. On a 22 associations au village. Les associations, c'est un pôle d'intérêt. Alors au village, connaissons-nous les uns les autres et faisons ensemble. Il y a une partie d'utopie qui reste à creuser et qu'on n'a pas réussi à faire sur ce mandat. Mais parce qu'il y a des difficultés, et on ne savait pas faire.
Le vote R.N., ça fait mal au cul
Mais quand on choisit le côté citoyen comme priorité et que la majorité des votants choisit le Rassemblement National au deuxième tour de la présidentielle, qu'est-ce qu'on fait ? Comment réagit-on ? C'est difficile à supporter ?
Je vais être désagréable, ça fait mal au cul. Les dimanches d'élection, on en a eu quelques-uns en 2024. Et les présidentielles en 2022. Un bureau de vote nécessite une mobilisation assez importante d'assesseurs. Beaucoup de gens du village font en sorte que les élections puissent se tenir. Après une journée comme ça, quand on a ce type de résultat, notamment au deuxième tour de la présidentielle, une majorité de votes exprimés pour le Rassemblement National, ça pose question, ça secoue, mais ça ne doit pas empêcher de retourner au boulot le lendemain matin. Mais ça pose question, parce que, comme je l'ai dit tout à l'heure, on essaye de faire en sorte qu'il y ait des animations pour tous, que ce soit populaire. On a Cirkala, événement qui se déroule tous les 2 ans. On soutient vraiment des projets basés sur ce principe. Il faut que ça soit populaire pour le plus grand nombre. Et voilà, quand dans l'anonymat d'un bulletin de vote, on est sur tout à fait autre chose, ça pose question aux élus qui sont chargés de la conduite de la commune.
Effectivement ces résultats électoraux sont décevants. Parce que ça faisait déjà quelques années que l'équipe était en place et essayait de mener cette lutte. Et on a l'impression que ça ne porte pas ses fruits, qu'on n'arrive pas à changer les mentalités. Que faudrait-il pour faire évoluer ça ?
Je pense qu'il faudrait davantage de fêtes, d'événements festifs. Les gens devraient se parler davantage, pour qu'on puisse expliquer que ce que le Rassemblement National raconte, ça n'a rien à voir, aucun début de réalité chez nous. Il n'y a pas d'insécurité, on n'a pas de problème. On est dans un village où on a tout pour vivre à peu près correctement. Ces épouvantails qui sont régulièrement agités, c'est difficile à comprendre que les gens y soient sensibles. Alors qu'il suffit d'ouvrir les yeux, on est dans un cadre de vie magnifique. On a une équipe municipale ou des gens dans la commune qui sont prêts à faire et qui font. Et bien non, on a une espèce de rouleau compresseur national qui, et quoi qu'on fasse, on a ce mur en face de nous. C'est très décevant. Mais on ne baisse pas les bras.
il faudrait davantage de fêtes, d'événements festifs
[Éric Hueber] Au risque de dire une bêtise, pour moi, le liant dans ces vallées, c'était le rythme dicté par le calendrier catholique. Avec les fêtes où les gens se retrouvaient régulièrement, presque chaque mois, il y avait des événements où les gens se rassemblaient, se côtoyaient, etc. Donc les gens se rencontraient beaucoup plus dans le temps. Et quand je dis dans le temps, ce n'est pas il y a plusieurs siècles, c'était peut-être il y a juste 50 ans. J'ai l'impression que l'évolution est très rapide. Comment changer les choses ? Vous y avez répondu en disant qu'il faudrait faire plus de fêtes. Est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt essayer de garder les forces vives de la jeunesse et les enraciner dans leur patrimoine ? Pour que ça vienne d'eux, parce qu'on est conscient qu'actuellement c'est les retraités qui sont utiles pour mener des luttes car ils ont le temps. Et c'est peut-être une des réponses à la question, est-ce que c'est un manque de temps ? Est-ce qu'il y a des idées de ce côté-là ?
Globalement, quand on s'engage, il y a une partie de soi et une part de courage aussi. C'est peut-être confortable de ne rien faire, mais c'est beaucoup plus intéressant de s'engager pour les autres. Les jeunes, je suis entièrement d'accord, c'est évidemment le futur. C'est un autre futur, mais c'est eux qui le construisent aussi, le futur. Sur le fait qu'il n'y ait pas ou peu de réactivité. Je pense que l'époque a changé. On n'est plus du tout dans ces années rythmées par les fêtes paroissiales, on est dans une époque d'individualisme exacerbé. On bosse pour consommer, on rentre à la maison le soir et puis on ne participe plus forcément. Je pense que c'est vraiment l'individualisme qui tue les relations sociales. Et on le sent dans nos villages. A 22h, il n'y a plus personne dans les rues. Nous faisons l'extinction de l'éclairage public à 23h, mais on aurait pu éteindre à 22h.
une époque d'individualisme exacerbé, on bosse pour consommer
Dans les rues de Mulhouse, à 22h ce n'est pas la fête tous les jours non plus. Ne parlons pas de Colmar, où tout le monde est au lit à 19h. Mais sinon, dans les priorités à venir pour Lautenbach, quel est les projets pour lesquels vous allez vous battre avec le conseil municipal ?
Ce sont plutôt des dossiers techniques. En 4 ans, on a peu investi sur de grands travaux, parce qu'on avait cette collégiale qui nous prenait du temps. Et là, en 2025, on va aller doucement vers des réalisations intéressantes. On a mis en place un réseau de chaleur qui va chauffer 7 bâtiments communaux, au programme l'année prochaine. L'intérêt de ce réseau de chaleur est pour nous essentiel. C'est qu'on sort des énergies fossiles. Nos chaudières actuelles sont vieilles, ce sont des chaudières de locomotive qui ne sont pas du tout efficaces et très vieillissantes. On a un parc de chaudières d'au moins 25 ans d'âge en moyenne, qui tournent au fioul, certaines au gaz. On a voulu prendre ce virage, c'est-à-dire qu'on part sur de l'alimentation en bois, donc en biomasse. On est une commune de montagne forestière, on a de belles forêts qui sont correctement gérées. Donc ça, c'est notre projet phare. Pour l'an prochain, c'est la mise en place de cette chaufferie centralisée qui alimente 7 bâtiments communaux et quelques bâtiments particuliers, quelques logements de particuliers. C'est un de nos gros projets.
Un autre projet c'est de modifier l'éclairage public, de le passer en LED. Projet qu'on aurait déjà pu faire, mais bon, on n'arrive pas à tout faire, on est au boulot tout le temps. On a une école maternelle qui est une passoire thermique et qu'on veut aussi rénover. Le temps des études est presque terminé, on va pouvoir là aussi embrayer. On a encore plein d'autres choses à faire sur nos bâtiments. L'idée est d'investir pour réduire les frais de fonctionnement au niveau du budget municipal, sachant que tout se réduit au niveau des capacités d'aide. À l'avenir, il faut arriver à rogner sur le fonctionnement sans toucher aux agents communaux, principal poste du fonctionnement. Et justement, l'État a supprimé la taxe d'habitation, qui était un revenu extrêmement important pour les communes. L'État demande aux collectivités territoriales d'économiser des milliards qu'il n'arrive pas à économiser.
L'État demande aux collectivités territoriales d'économiser des milliards qu'il n'arrive pas à économiser
Comment fait-on face à ça pour avancer quand même ? Est-ce que certains maires sont désespérés ? On a de plus en plus du mal à trouver des candidats, des maires démissionnent alors que c'est eux qui sont au contact direct de la population. Après 4 ans de mandat en tant que maire de Lautenbach, qu'est-ce que vous auriez envie de dire aux représentants de l'État puis aux citoyens qui pourraient s'engager plus ou participer aux instances citoyennes que vous mettez en place ?
Par rapport à l'État, je pense que c'est un très mauvais modèle de gestion. Les collectivités territoriales, notamment les communes, ne pourraient pas fonctionner comme ça. Nous sommes censés faire des budgets sincères et à l'équilibre, alors que l'État dépense sans compter. Je ne comprends pas cette gestion où on dépense sans compter. C'est de l'irresponsabilité. Dans les communes, on doit gérer nos budgets à l'équilibre. Je souhaiterais quand même que ça ne fasse pas peur aux citoyens. Parce que c'est passionnant, c'est d'une variété incroyable. C'est un engagement, mais c'est aussi une façon d'appartenir à une communauté. Ce serait intéressant que, quand même, les gens s'y intéressent. Il faudrait même une forme d'obligation d'intérêt. Parce que je trouve que c'est facile de donner un mandat pour 6 ans et de ne plus s'y intéresser.
L'État représente un très mauvais modèle de gestion, l'État dépense sans compter.
C'est de l'irresponsabilité.
[Éric Hueber] Est-ce qu'une solution est à trouver dans l'enseignement ? Vous qui étiez enseignant, est-ce qu'aujourd'hui, ce qu'on appelle l'enseignement civique et moral ne répond-il pas à cette question d'accès à la citoyenneté ? Un des objectifs de l'école est de former les citoyens de demain et donc les acteurs politiques de demain. Politique au sens noble du terme, politique, c'est-à-dire la vie en commun.
Je suis enseignant retraité, pédagogue de l'éducation civique. J'étais dans le primaire. Les enfants du primaire sont très malléables. On peut vraiment les emmener dans des directions intéressantes. Ça devient des ados. Après, on constate quand même fréquemment que nos anciens élèves, pour qui il y avait une sensibilité au respect de l'environnement, qu'on véhiculait aussi dans l'école, pouvaient se transformer quand ils étaient ados. Ça ne les empêchait pas de jeter par la fenêtre des déchets du MacDo ou d'autres trucs. Je pense que passer par l'éducation, c'est un excellent moyen. Mais ensuite, il faut des relais. Je ne sais pas par quel biais on peut intéresser des jeunes à la vie politique. Alors il y a certains jeunes qui militent, et pour d'autres, ce n'est pas leur préoccupation. Actuellement, il y a quand même une forme d'angoisse générale dans la jeunesse sur le futur. Et je pense que c'est vraiment en se rapprochant, en découvrant l'intérêt de la vie publique, que ça peut évoluer. Et moi, j'ai vraiment ce besoin et j'ai confiance dans la jeunesse. C'est sûr que ça passera par la jeunesse.
[Sixtine Schwarte] Je voulais revenir sur le fait que vous ayez tout en double avec Lautenbach et Schweighouse. Vous mentionnez notamment les deux écoles. Est-ce que c'est encore gérable d'avoir deux écoles, étant donné que dans beaucoup de villages, depuis de nombreuses années maintenant, les écoles doivent fermer faute d'avoir assez d'élèves ? J'ai cru comprendre que vous n'avez pas énormément d'enfants non plus... Est-ce que c'est vraiment souhaitable d'en garder deux, vu que vous mentionnez qu'une des deux, par exemple, est une passoire thermique ? Ce ne serait pas une meilleure idée de les fusionner ?
Je vais vous répondre sentimentalement. Je suis très attaché à l'école. dans laquelle j'ai travaillé pendant 23 ans, la situation n'est pas tout à fait celle que vous décrivez. L'école qui va être améliorée sur le plan énergétique, c'est une petite école maternelle. C'est l'école maternelle de Lautenbach. Mais en fait, on a 4 bâtiments d'école, 2 à Lautenbach et 2 à Schweighouse. Le bâtiment primaire de Lautenbach est en très bon état. Il a été rénové en 2008, il me semble. À Schweighouse, on est à peu près dans la même situation. On a un bâtiment BBC (bâtiment basse consommation) à la maternelle de Schweighouse. Et je suis défend clairement l'existence d'une école dans son village. J'ai passé trop de belles années dans l'école de Schweighouse, à travailler avec les parents d'élèves, à organiser énormément de choses, notamment des fêtes. Schweighouse est un petit village où il y avait l'école, le boulanger et une bibliothèque associative. Cette bibliothèque associative fait un travail remarquable. Le boulanger a fermé il y a 2 ans et il reste l'école au centre du village. Alors, évidemment, si on voulait raisonner de façon, je ne veux pas dire budgétaire, mais de façon synthétique, il faudrait réunir les écoles, ça serait tellement plus simple. Mais cela entraînerait des déplacements supplémentaires, ça veut dire aussi un gros coût, et sur le rapport coût-avantage d'un nouveau bâtiment, on n'est pas du tout dans la même chose que de retaper un bâtiment existant. Là, c'est sur des millions d'euros, alors que nous, on est sur des centaines de milliers d'euros. On n'est pas du tout dans la même échelle. Et je me bats pour que cette école reste au village de Schweighouse. Je ne vais pas être un bon défenseur du regroupement pédagogique. Au contraire, je pense que ça fait des dégâts, parce que ça veut aussi dire que petit à petit, on va centrer dans une seule commune pour toute la partie école. Et ça aura pour conséquence que, dans les autres villages, Lautenbach ou Linthal, juste au-dessus, ils vont perdre leur classe. Et c'est du lien social, les écoles, c'est du lien social dans les communes rurales.
Qui dit fermeture d'école, dit utilisation supplémentaire de la voiture.
Oui, voiture ou transport en commun à développer, ou périscolaire.
Ça ne risque pas d'arriver dans les prochains temps ?
On a eu une alerte il y a 2 ans, on était à 2 enfants près, donc après il faut trouver des enfants. Et on lutte aussi contre autre chose, des habitants qui emmènent leurs enfants dans d'autres écoles. On essaie de leur démontrer tous les bienfaits de rester dans leur village. Des enfants qui démarrent à la maternelle et qui font 8 ans à l'école du village, soit 3 ans de maternelle et 5 ans de primaire, c'est des amitiés qui se nouent, s'ils les font ailleurs ils n'ont plus d'amis ici. Il y a aussi les parents d'élèves qui peuvent se rencontrer. Il y a vraiment quelque chose au niveau du lien social qui est très important. Sur les écoles, je ne lâcherai pas. On a été en conflit avec l'inspection de l'Éducation Nationale qui voulait supprimer un poste. On a tenu bon, mais c'est du même ordre que la poste au village. Quand les directeurs de la Poste arrivent ici dans la salle du conseil, c'est pour fermer le bureau de poste. Non, on ne fermera pas le bureau de poste. Après ça tient le temps que ça tient...
Non, on ne fermera pas le bureau de poste
[Éric Hueber] J'ai le sentiment que ça appuie ce qui a été dit juste avant, c'est-à-dire que les enfants s'enracinent dans leur territoire grâce aussi à l'existence d'une école sur place.
C'est tout à fait fondamental cette vie de village.
[JLW] Et les jeunes qui, peut-être, fuient le village après le lycée?
Je ne pense pas que ce soit une fuite. La vie est ainsi faite. On n'a pas de boulot dans les vallées. On a une entreprise ici qui a entre 80 et 100 salariés, qu'on désire conserver le plus longtemps possible. Il faut aussi voir la situation géographique. On est dans un fond de vallée avec une forme de tourisme qui existe, mais il n'y a pas de boulot.
Parmi les points qu'on n'a pas évoqués, vous souhaitez aborder un thème avant de conclure cette entretien ?
J'aimerais déjà dire globalement ce que ça signifie l'activité d'un conseil municipal. J'aimerais vraiment tout détailler, je vais oublier des choses. Vraiment pour dire, pour avoir une idée de tout ce qui peut être intéressant dans une commune. Il y a toute la partie bâtiments communaux, on en a des nombreux qui sont dans des états variables. On a de la voirie à faire, on se doit d'être vigilant sur l'urbanisme, que les gens ne construisent pas n'importe comment, il y a des règles. On a de l'éclairage public à régler, on a de la circulation à régler, du fleurissement et de l'embellissement du village aussi. On a une forêt à gérer, la forêt ça veut dire des chasseurs, ça veut dire aussi des ressources, avec la vente de bois. On a des écoles, du périscolaire, des manifestations culturelles, énormément d'axes dans lesquels les uns les autres pourraient s'investir. Et j'en oublie, j'en oublie plein. Il y a toute la partie financière aussi, la gestion de la commune, il y a le personnel communal. Ce n'est pas une liste à la Prévert, mais il y a énormément d'axes sur lesquels les gens peuvent s'investir. Et de le laisser à 19 personnes et de dire "on en reparle dans 6 ans", ce n'est pas du tout satisfaisant dans l'idée. Après, je veux aussi préciser une chose. Tout n'est pas rose, au contraire. Dans notre équipe municipale, on a eu 2 démissions dans mon groupe sur ma liste. C'est aussi compliqué à gérer parce que des personnes qui démissionnent, c'est des forces vives en moins qui se répercutent sur ceux qui sont déjà très actifs. Alors, ces démissions étaient dues à une espèce d'impatience. Le projet n'avançait pas assez vite. On est arrivé et il fallait déjà comprendre comment avancer. Il y a plein d'autres choses. On a aussi signé une charte d'écoexemplarité avec un syndicat mixte qui engage la commune sur des actions. Il y a vraiment énormément de possibilités.
En 9 ans de vie citadine à Mulhouse, on connaissait moins de gens qu'en 3 mois ici au village.
Philippe Hecky, vous êtes un ancien citadin qui a déménagé avec bonheur au fond de la vallée. Par rapport aux mulhousiens, aux mulhousiennes, aux colmariennes, aux colmariens qui pourraient nous écouter et qui pourraient être tentés de plonger dans la nature ─ qu'est-ce que vous auriez envie de leur dire ? Est-ce que ça vaut le coup de déménager jusqu'ici ? Est-ce que le mètre carré n'est pas cher ? Qu'est-ce que vous aimeriez dire aux citadins qui ont envie d'air frais, de nature et d'environnement, avec des arbres de tous les côtés ?
Je crois qu'on ne s'achète pas une place dans la nature. Vous parliez de s'installer dans un village, oui, ça veut aussi dire qu'on arrive et nous, bien sûr, j'invite les gens à venir visiter notre village. On est dans un cadre de vie vraiment formidable. C'est le début de la montagne, on n'est pas loin des grands axes. Il y a encore sûrement des choses à faire sur les capacités, le développement des transports. Mais quand on arrive dans un village, ça change la vie. Je dis souvent que quand on habitait Mulhouse, on habitait 9 ans sur Mulhouse et on était de vrais citadins. On allait au cinéma, on voyait les activités culturelles que proposait la ville. Mais en 9 ans de vie citadine à Mulhouse, on connaissait moins de gens qu'en 3 mois ici au village. Je pense qu'il y a un fort intérêt social qui, à mon avis, est vraiment réel dans les petites communes. Et on a la chance d'avoir un gros potentiel d'association sur toute la vallée. Il se passe énormément de choses. On nous dit que Lautenbach est identifié par rapport à notamment des petites fêtes ou des événements ou notre façon d'avancer. Je pense que c'est très intéressant d'entrer dans ce monde, mais il faut participer à ce monde. Ce n'est pas juste "on arrive de la ville et on consomme". C'est un collectif qu'il faut organiser, il faut être prêt à ça.
[Éric Hueber] J'abonde en ce sens. On est arrivé dans la vallée avec notre famille il y a 3 ans, et on avait peur que nos enfants n'adhèrent pas au projet, parce que c'était une décision prise par les parents. Ils ont dit oui, mais on ne sait pas si c'est parce qu'ils ne voulaient pas de fessée. En tout cas, une fois arrivés ici, ils se sont rendu compte qu'ils sortaient beaucoup plus et qu'ils avaient beaucoup plus d'amis, qu'ils rencontraient beaucoup plus de camarades. La vie est vraiment différente, et eux-mêmes ont été surpris de cette convivialité de village. À Mulhouse où on était avant, il fallait 100 mètres pour aller voir un ami, aujourd'hui il faut prendre le vélo, faire un kilomètre, mais ce n'est pas du tout un obstacle. Mes enfants eux-mêmes ont été surpris et ont affirmé d'eux-mêmes, au bout d'un an, que c'était fantastique, la vie qu'ils avaient au fond de la vallée.
apprendre à pratiquer le vivre ensemble
[PH] Je crois vraiment que sur la qualité de vie, c'est indéniable, tout à fait différent et intéressant. Ce qui est aussi intéressant, c'est d'apprendre à pratiquer le vivre ensemble.
Une conclusion parfaite. Merci, monsieur le maire, de nous avoir accueilli dans cette mairie située juste entre la Collégiale, la Poste et l'épicerie et pas loin du Crédit Mutuel. Merci Eric Hueber, habitant de la Vallée, merci Sixtine et Louis. On se retrouve bientôt à Lautenbach. On ne reviendra pas en train. On peut venir en vélo, en bus ou en voiture. Merci à toutes et à tous et à bientôt dans la vallée.
Liens:
Site de la commune www.lautenbach.fr
Cirkala, festival de cirque bisannuel à Schweighouse, prochain édition en 2025 www.facebook.com/Cirkala
Lutherie Dancerie mét Müsik, festival folk au mois de mai à Lautenbach
Communauté de Communes de la Région de Guebwiller www.cc-guebwiller.fr