Le Mulhousien Jean Ruch est le fondateur du groupe associatif FAMILLES SOLIDAIRES créé en 2012 qui a pour but de développer l'habitat inclusif pour les personnes fragilisées. Présente dans cinq régions françaises, cette entreprise immobilière à but non lucratif invente une solidarité nouvelle pour les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et les malades qui ne sont plus autonomes. Quels sont problèmes sociétaux immenses posés aux 11 millions d'aidants familiaux ? Comment gérer la dépendance croissante de la population ? Quelles sont les solutions pleines d'espoir portées par ce groupe associatif pas comme les autres ?
Rencontrez JEAN RUCH vendredi 28 mars 2025 à 20h au cinéma Bel Air, rue Fénelon à Mulhouse, à l'occasion d'un ciné-débat gratuit. Projection du film THE FATHER suivie d'une rencontre avec Jean Ruch, Patrick Karcher, directeur de l'EREGE, Laure Pesch, coordinatrice du site d'appui alsacien et sous réserves une personne de France Alzheimer.
Transcription d'un entretien radio réalisé le 7 mars 2025 dans le cadre de À VOTRE SANTÉ ! le mois de la santé et de la recherche médicale en Alsace et dans le Grand Est, avec la Nef des sciences. Propos recueillis par Jean-Luc Wertenschlag pour Radio Quetsch, L'Alterpresse et Warum Net Experience. Écoutez le podcast par ici : https://podcast.ausha.co/wne/ruch

Nous sommes le 7 mars 2025 en compagnie de Jean Ruch, fondateur et président de Familles Solidaires. Mais qui es-tu ?
Je suis mulhousien de naissance, j'ai 48 ans, deux enfants, un parcours associatif assez riche dans divers associations. De métier initial, je suis monteur de film, et aujourd'hui je suis dirigeant d'entreprise.
Une entreprise à multiples facettes, qui s'appelle Familles Solidaires. Commençons par expliquer ce groupe associatif Familles Solidaires...
Permettre à des personnes fragilisées par l'âge, la maladie ou le handicap, de vivre avec et comme les autres
Oui, alors, quand on parle d'entreprise, c'est vrai que ce n'est pas commun de parler d'association. On n'a pas ce réflexe. En général, on sépare bien l'entreprise lucrative de l'association qui est non lucrative. Familles Solidaires, c'est une entreprise solidaire d'utilité sociale. L'objectif de Familles Solidaires, comme toute entreprise, est d'atteindre un équilibre économique. Mais son premier objectif est surtout de servir une utilité sociale. Tout ça pour dire que Familles Solidaires, dans son ensemble, est un groupe associatif composé d'associations et d'entreprises solidaires dont l'objectif commun est de permettre à des personnes fragilisées par l'âge, la maladie ou le handicap, de vivre avec et comme les autres. Qu'est-ce que ça veut dire ? Simplement qu'on rassemble sur cinq régions françaises aujourd'hui des proches aidants de personnes en situation de handicap ou des personnes âgées dépendantes qui cherchent à inventer de nouvelles solutions pour l'accueil de leurs proches. Parce que si on se penche sur le sujet des aidants, on voit qu'il y a 11 millions de personnes en France qui accompagnent un proche en perte d'autonomie. 11 millions, c'est un Français sur six. Ça veut dire que concrètement dans nos vies, à un moment ou à un autre, on sera concerné par des parents qui perdent de l'autonomie, parfois par des enfants en situation de handicap et probablement, si on vieillit, par sa propre perte d'autonomie. Donc c'est un enjeu sociétal important aujourd'hui et démographiquement ça va devenir un enjeu de société centrale dans les 30 prochaines années puisqu'on aura bientôt plus d'un tiers de la population française qui aura plus de 65 ans.
Sauf si on ouvre les frontières et qu'on accueille des jeunes immigrés pour nous aider, comme ça se passe souvent dans les pays trop riches et trop vieux.
Penser aujourd'hui le vieillissement des personnes âgées, l'accompagnement des personnes en situation de handicap, en se privant des richesses liées à l'immigration, ça va être très compliqué pour notre pays. Aujourd'hui, si vous avez un papa et une maman à domicile. vous cherchez une auxiliaire de vie pour venir lui faire la toilette, l'aider à faire ses courses ou ne serait-ce qu'aller se balader au parc, je vous souhaite bien du courage. Parce qu'il y a une crise des vocations majeures, un manque de main-d'œuvre et de formation. Ce qui amène à des complexités, notamment pour les personnes les plus dépendantes.
Jean Ruch, tu t'es engagé dans l'action en faveur des personnes fragilisées par l'âge, la maladie, le handicap. Pourquoi cette vocation ? Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans ce combat ?
D'abord, je pense qu'il y a un terreau familial. J'ai des parents qui étaient très investis dans le monde associatif. Et puis, dans ma vie, est arrivé à un moment donné un accident de vie. Ma compagne, quand j'avais 16 ans, mon amour de jeunesse à l'époque, a eu un grave accident de la route l'année de ses 18 ans. Elle a fait 6 semaines de coma, 6 mois de rééducation, et elle s'en est sortie relativement bien au niveau physique. Mais le physique c'est une chose. La majorité des handicaps aujourd'hui en France ne sont pas physiques. Ils peuvent être psychiques, cognitifs, intellectuels, sensoriels. Et dans le cas de ma compagne à l'époque, c'était un handicap qu'on appelle une cérébro-lésion acquise, c'est-à-dire le coma, l'accident, l'hémorragie cérébrale comme on voit dans les films américains. Mais malheureusement pour elle, ce n'est pas un film américain et donc elle ne s'est pas réveillée avec des super pouvoirs, mais plutôt avec
la difficulté à se rappeler le nom de ses amis, ce qu'elle avait fait dans la journée, ce qu'elle devait faire dans une heure et ce qui s'était passé il y a 5 minutes,
puisque c'est de ce niveau-là la situation des personnes qui ont des lésions cérébrales acquises, que ce soit des AVC, des traumas crâniens, des scléroses en plaques, ça touche le cerveau. Et ça crée des handicaps invisibles qui empêchent très souvent d'accéder au monde du travail. De fait, ça crée des personnes pauvres, parce qu'elles n'accéderont pas forcément au travail. Et ça crée surtout des personnes dépendantes de leur entourage. Notre couple a eu la chance de pouvoir quand même avoir deux enfants. Mais c'est une organisation et ça demande énormément d'investissement des proches qui entourent la personne qui a des troubles cognitifs. On le comprend facilement pour les personnes âgées. Quand on parle aux gens de la maladie d'Alzheimer par exemple, tout le monde en a peur parce que c'est une maladie qui est terrible. On perd progressivement sa capacité de mémoire, sa capacité d'organisation, on perd la mémoire de ses proches, de ses enfants, de ses petits-enfants. Quand on a 20 ans, qu'on a un accident de la route et qu'on se retrouve dans une situation proche, évidemment c'est très compliqué à gérer parce qu'il faut retrouver un nouveau sens à l'existence qui n'est pas forcément celui de travailler. Parce que le travail ne veut pas de vous. Aujourd'hui, si on se dit les choses concrètement, dans le monde du travail, il faut pouvoir faire quatre choses en même temps, être productif, ce qui n'est plus possible pour une personne traumatisée crânienne. Donc quand je suis sorti avec Flavie à 18 ans, je n'imaginais pas tout ce qui allait se passer deux ans plus tard. Il y a eu cet accident. Et puis on a continué notre petit bonhomme de chemin. On a découvert le handicap ensemble. On a découvert la parentalité ensemble. On a découvert l'aide à la parentalité aussi. Parce que gérer des nourrissons quand on a des troubles de la mémoire, c'est compliqué. Et pour autant, on a quand même reconstruit une vie malgré l'événement initial qui aurait pu se terminer dramatiquement.
Jean Ruch, le handicap que tu as découvert dans ta jeunesse, n'est pas aujourd'hui véritablement pris en compte dans notre société à un niveau politique. On parle régulièrement de handicap, on vote des lois mais elles ne sont pas appliquées. L'accessibilité pour tous et toutes, par exemple, votée en 2005, n'est toujours pas effective. Tu as écrit un livre "Les aidants familiaux pour les nuls" en 2017. Pourquoi le handicap n'est-il pas vraiment reconnue dans notre société médiatiquement, culturellement, politiquement ?
le monde du handicap fait peur depuis très longtemps
Parce qu'il fait peur le handicap. La perte d'autonomie nous renvoie à ce qui nous arrivera tous un jour, c'est le fait de disparaître. Notre société, jusqu'au Covid, a quand même été énormément basé sur la performance professionnelle. Quelqu'un qui n'avait pas de travail n'avait pas de position sociale, aujourd'hui ça change un petit peu. Donc le monde du handicap fait peur depuis très longtemps. Je ne suis pas sûr que les gens ont peur des personnes handicapées, c'est plus souvent l'incapacité à savoir comment réagir qui pose problème, parce que les gens ne savent pas comment réagir, ne connaissent pas les solutions. Donc le handicap a évolué. Il y a 200 ou 300 ans, on n'était pas loin parfois de l'eugénisme. Les personnes en situation de handicap avaient une espérance de vie autour de 20-25 ans puisqu'elles vivaient dans des structures plus ou moins bienfaisantes pour leur santé. Ensuite, il y a eu l'industrialisation de la France, on a commencé à mettre en place des hospices, il y a toute la tradition chrétienne d'accueil des malades dans les asiles, dans les monastères, etc. Et on est arrivé dans un monde où on a quand même de plus en plus de situations de fragilité, en tout cas on reconnaît de plus en plus de situations de fragilité. On n'a pas multiplié par 10 le nombre de personnes handicapées depuis 40 ans. On a simplement accepté de dire que d'avoir une dyspraxie, une dyscalculie ou d'avoir un trouble du neurodéveloppement, c'est un handicap. Parce qu'on a fait évoluer la définition du handicap dans les années 75. Avant 1975, il n'y avait aucun établissement d'hébergement pour personnes handicapées. Ça n'existait pas. Une première loi sur le handicap est votée en 1975, où on parlait de déficience, d'incapacité. Donc tu étais trisomique, tu étais amputé, tu étais paraplégique. Parce que tu étais toujours vu en fonction de ton empêchement, de ton handicap, de ta maladie, etc. C'était un modèle très médical, ce qu'on appelait le modèle de Wood, un modèle qui a préexisté et qui disait, en gros, quand on a un handicap physique, parfois on peut le compenser. Mais on reste sur le handicap physique. Depuis la loi de 2005, celle dont tu parlais, qui notamment traite des questions d'accessibilité des bâtiments publics, la définition du handicap a changé. La définition de la loi de 2005, c'est « constitue un handicap au sens de la présente loi, toute limitation d'activité et restriction de participation liée à un handicap physique, sensoriel, cognitif, intellectuel ou à un trouble du neurodéveloppement ou à une maladie qui excède une durée d'un an. » Donc aujourd'hui, on peut être en situation de handicap quand on a un cancer. On peut aussi être en situation de handicap quand on naît avec un handicap, comme dans la trisomie 21 par exemple. Mais on peut aussi découvrir que son gamin ne se développe pas comme il devrait biologiquement, au fur et à mesure, ce qu'on appelle les troubles du neurodéveloppement, l'autisme notamment. Il y en a de plus en plus. Aujourd'hui, il y a un enfant sur 100 qui naît autiste parce qu'on a amélioré le diagnostic. Je ne suis pas sûr qu'on produise plus de handicap qu'il y a 100 ans. Mais on le reconnaît mieux, on l'accepte un peu mieux. Il y a deux façons de le voir. Quand on est concerné, quand on a besoin de réponses rapides, urgentes, qu'on a un enfant dont on vient de détecter le handicap et qu'on nous dit qu'il faut qu'il aille à l'école. Et démarre le combat pour avoir une auxiliaire de vie scolaire, etc. C'est un combat qui est urgent. Les familles n'ont pas la même représentation du temps que les administrations. Si je le regarde du côté des familles, c'est insuffisant, ce n'est pas satisfaisant. Il y aurait encore des milliards de choses à améliorer. C'est mon point de vue. Si je le regarde du point de vue sociétal, depuis 2005, on a énormément d'enfants qui vont à l'école. Ça a eu un effet sociétal. C'est-à-dire qu'on s'est habitué à ce que les personnes en situation de handicap, les personnes en perte d'autonomie, vivent au milieu de nous. Ça rejoint d'ailleurs la maxime de Familles Solidaires qui est de permettre à des personnes de vivre avec et comme les autres. Et c'est tout l'esprit de l'inclusion, c'est tout l'esprit de la loi de 2005, c'est aussi une nouvelle définition du handicap, on n'est pas que un pied, un foie, un estomac, un cerveau, on est une personne et même si on est en situation de handicap, on a le droit d'avoir ses choix, ses incohérences, comme n'importe quel citoyen de notre monde.
Constitue un handicap au sens de la présente loi, toute limitation d'activité et restriction de participation liée à un handicap physique, sensoriel, cognitif, intellectuel ou à un trouble du neurodéveloppement ou à une maladie qui excède une durée d'un an.
Oui, et on peut voter aussi. Familles Solidaires s'est créée quand ?
Familles Solidaires s'est créée en 2012. C'était le rassemblement de 7 amis et familles qui ont décidé collectivement de mettre un peu d'argent dans une entreprise d'utilité sociale. On a mis 180 000 euros en 2012 avec comme leitmotiv de créer un outil qui permette de créer de l'habitat inclusif. L'habitat inclusif, c'est une façon de vivre ensemble pour des personnes âgées ou en situation de handicap, où finalement on accepte de vivre ensemble parce qu'on a envie de lutter contre l'isolement social, parce qu'on a envie d'avoir des voisins, parce qu'on a envie d'avoir une animation de cette vie sociale. C'est dans cet esprit-là que j'ai créé le premier habitat inclusif avec Familles Solidaires en 2012. L'idée était de permettre à des personnes traumatisées crâniennes sur Strasbourg de vivre en coloc, de partager le petit bout de la réponse qu'elles avaient, puisqu'elles avaient toutes 3 heures d'aide humaine, 3 ou 4 heures d'aide humaine, mais elles vivaient toutes à la maison parce que quand on n'a pas de mémoire, quand on n'a pas d'orientation dans le temps et dans l'espace, en fait on n'a pas besoin de 3 heures par jour, on n'a pas besoin de 24 heures sur 24 non plus, mais on a besoin de 5 minutes réparties aléatoirement dans la journée 24 fois. Donc concrètement, des aidants qui ont un gamin cérébro-lésé ou un adulte cérébro-lésé à la maison, ils n'osent jamais le laisser seul parce que c'est toujours dans les moments où les personnes sont seules que se produisent les difficultés. Ils n'ont pas de solution pour l'avenir, puisqu'il y a très peu de places en hébergement. Et vivre seul à domicile, si la personne est seulement sécure pendant 3 heures sur 24 heures, évidemment les parents ne lâchent pas. L'habitat inclusif est venu s'insérer à ce moment-là, quand chacun avait cette petite dotation en aide humaine, pour dire que si on se rassemble, on crée les conditions d'une permanence. On crée les conditions qui permettent à des aidants de se dire, mon gamin, il va être bien en colocation avec ses cinq autres potes autistes ou des personnes plus âgées qui vont vivre dans une colocation Alzheimer comme à Zillisheim par exemple.

Et donc c'est tout ça qui a permis finalement de créer de l'habitat inclusif. Aujourd'hui, 12 ans après, cette entreprise solidaire,
cette foncière Familles Solidaires pèse 7 millions d'euros de capital social.
Une dizaine de sociétés de gestion ont investi, différentes banques, BNP Paribas, Crédit Coopératif, Caisse d'épargne, Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Crédit Mutuel Arkea, des fonds communs de placement, des gens qui acceptent de nous confier de l'argent pour qu'on crée des immeubles, des appartements, des maisons où les gens vivent ensemble, où ils sont soutenus pour vivre ensemble et où on les aide à organiser l'écosystème de leur autonomie. L'écosystème de leur autonomie à domicile, c'est quoi ? Quand on a une maman ou un papa qui perdent l'autonomie à domicile, le premier réflexe qu'on a, parce qu'on a peur qu'ils tombent, c'est installer une télé-alarme. Sauf que souvent, le beeper, le bracelet ou le médaillon est sur la table de nuit, et puis le grand-père tombe dans la salle de bain et ne peut appeler personne. Ce qui motive souvent la mise en place de tout ça, c'est la peur. Mais une fois qu'on a mis le médaillon, on se rend compte que ça ne fonctionne pas toujours. Et puis que la personne a d'autres besoins. Elle a besoin d'aide pour la toilette, elle a besoin parfois d'aide pour faire ses courses, puisqu'elle se déplace moins bien. Donc on va commencer à chercher une auxiliaire de vie sociale. C'est un travailleur social qui intervient à domicile pour compenser les effets du handicap, qu'il soit physique par exemple, aider une personne en fauteuil roulant à faire son transfert pour aller dans sa douche si elle ne peut pas le faire par elle même. Et lui rendre des services liés à son handicap, c'est une façon de compenser. Certains handicaps sont plus complexes à compenser. Les personnes cérébrolésées ont des besoins aléatoires, c'est extrêmement complexe de vivre seul. L'habitat inclusif permet ce regroupement de personnes, crée les conditions d'un système qui survivra aux aidants. Parce que la principale inquiétude des parents proches aidants, c'est qu'est-ce qu'il devient si moi je ne suis plus en capacité de l'accompagner. Nous accueillons dans nos habitats pour personnes âgées des gens qui ont des enfants en situation de handicap et en général, quand ça craque, ça craque. La fille, le fils est placé, la maman aussi. Et les gens ont tenu tout ça à bout de bras pendant 30, 40, 50 ans, sans rien demander à personne. Je ne crois pas que beaucoup de gens soient conscients aujourd'hui de cette réalité dans notre monde. Pour vivre correctement en France, en bénéficiant d'aides, on a toujours l'image de la fraude sociale qui coûte très cher, etc. Je répondrais que pour bénéficier des aides sociales, d'allocations pour aider une personne en perte d'autonomie, il faut surtout avoir un master en bureaucratie. Parce que vous avez 5, 6 interlocuteurs, on vous parle de choses dont c'est la première fois que vous entendez parler. On vous demande d'être un peu assistante sociale, un peu psychologue, un peu infirmière, parce qu'il n'y en a plus assez pour venir faire la toilette de votre maman. Donc parfois on se retrouve à prendre des positions en tant qu'aidant qu'on ne devrait pas prendre. Et donc l'habitat inclusif, il vient à cet endroit-là. Il crée un système entre familles pour permettre à des personnes d'être rassurées sur leur futur et puis surtout pour permettre aux locataires d'avoir une vie de citoyen la plus ordinaire possible. Je finis sur un chiffre qui est assez révélateur quand même de notre positionnement. En France, on a à peu près 60 colocations Alzheimer. En Allemagne, il y en a 3 700, parce que c'est le mode majoritaire d'accueil des personnes âgées qui ont la maladie d'Alzheimer. Et c'est un vrai choix de société.
En France, on a 60 colocations Alzheimer. En Allemagne, il y en a 3 700... C'est un vrai choix de société.
Et d'ailleurs l'opération Mulhouse Loves Freiburg qui n'a rien à voir avec Alzheimer, consiste à aller voir en Allemagne ce qui se passe culturellement, socialement, politiquement, parce qu'ils ont tellement de choses à nous apprendre. Mais Jean Ruch, depuis la fondation de Familles Solidaires en 2012, bien du chemin a été parcouru, des bâtiments ont été construits, vous êtes présents dans cinq régions. On peut prendre un exemple local, autour de Mulhouse, pour comprendre comment ça se passe, comment ça marche, comment ça fonctionne ?
L'exemple qui me paraît le plus révélateur de la richesse et de la complexité de l'habitat inclusif, c'est la colocation Alzheimer que nous avons construite à Zillisheim. C'est une petite commune autour de Mulhouse, un peu plus de 1000 habitants, un village plutôt bien conservé en termes de services, de commerce, de présence publique. On a une pharmacie, un petit supermarché, la mairie, un tabac, un bar, un cabinet infirmier, des médecins, etc. C'est un village où il fait plutôt bon vivre quand on est relativement autonome. Et on a eu la proposition de s'associer avec un architecte, donc l'agence AMRS à Flaxlanden, pour porter un projet immobilier d'un lotissement qui s'appelle le Domaine des Hirondelles, dans lequel Familles Solidaires a acheté un appartement de 300 m² et a installé une colocation pour 8 personnes touchées par la maladie d'Alzheimer. 8 personnes de plus de 60 ans, jusqu'à 98 ans, qui ont comme point commun d'avoir quand même une maladie relativement avancée, c'est-à-dire des difficultés d'orientation dans le temps, dans l'espace, parfois des difficultés physiques associées, puisque quand on a 98 ans, évidemment le corps est plus usé, il y a besoin de plus de soins. Cette colocation fêtera le 1er avril 2025 ses trois ans d'existence. Depuis trois ans, cette colocation est ouverte 24 heures sur 24 avec la présence d'auxiliaires de vie qui aident des habitants, des colocataires, même si ce n'est pas une coloc d'étudiants, c'est une coloc de personnes expérimentées, on va le dire comme ça. Ça a permis aussi à huit familles de trouver un mode d'accueil différent de l'EHPAD. Mais ce n'est pas opposé aux structures d'hébergement. On a besoin de toutes les structures aujourd'hui pour faire face à la maladie d'Alzheimer.
On compte un malade Alzheimer de plus toutes les trois minutes en France. On est aujourd'hui à 1,2 million de malades Alzheimer et on en prévoit 2,4 millions d'ici 30 ans.
Parce qu'on vieillit pour plein de raisons. Ce sont des maladies qui évoluent. Donc il faut trouver des solutions. Parce qu'aujourd'hui, quand on doit trouver une solution pour son papa, sa maman en EHPAD, c'est dur. Il n'y a pas beaucoup de place, c'est cher. Mais quand on aura multiplié par trois le nombre de personnes âgées, ça ne sera plus dur, ça sera impossible. Il faut qu'on trouve des alternatives en nombre suffisant, qui sont complémentaires les unes des autres. Ça ne veut pas dire que l'habitat inclusif, c'est avant l'EHPAD. Ça peut être après, ça peut être avant, peu importe. On a des locataires qui sortent d'EHPAD pour aller en habitat inclusif. Mais en tout cas, ça correspond à un moment de la vie, à un moment du parcours résidentiel de la personne, tout comme le domicile individuel peut l'être, et on a le droit de changer dans sa vie. On n'est pas obligé d'entrer à 25 ans dans un établissement d'hébergement et de se dire qu'on va passer toute sa vie en hébergement. Ça, c'est pour les personnes en situation de handicap et pour les personnes âgées. Je crois que 97% dans le dernier baromètre au CIRP, 97% des Français veulent mourir à domicile.
Aujourd'hui en France, il y a deux établissements de 40 places pour 55 000 malades Alzheimer
Très bonne idée. A Zillisheim, dans cette résidence les Hirondelles, qui paye combien ? C'est comme dans un EHPAD ?
Concrètement, c'est organisé très différemment d'un EHPAD. Ce n'est pas forcément plus cher ou moins cher. Ce n'est pas l'argument qu'on utilisera. Mais c'est du domicile. La différence est là. Quand on entre dans un EHPAD, on est accueilli dans une structure collective. qui est soumis à plein de réglementations, par exemple la réglementation incendie. Dans les faits, on est accueilli par une association, une entreprise gestionnaire et qui vous accueille chez elle, avec ses règles. Quand on signe un bail dans son propre logement, tant qu'on paye le loyer, on est chez soi. Et donc, ce n'est pas du tout le même rapport aux intervenants extérieurs. Ce n'est pas du tout la même façon de fonctionner. Dans un EHPAD, il y a un employeur qui emploie tout le monde. Dans un habitat inclusif, vous avez un service à la personne qui met à disposition les auxiliaires de vie, des infirmières libérales qui viennent préparer les médicaments le matin et le soir, le médecin généraliste du village qui se mobilise et Dieu sait qu'on a de la chance de les avoir sur Zillisheim parce que c'est des gens vraiment motivés et soutenants. On est comme au domicile en fait, on va aller chercher un petit bout de réponse un peu partout, dans le monde de l'hôpital, dans le monde du médical libéral, dans le monde ordinaire, très ordinaire. La différence conceptuelle, c'est que dans un EHPAD, ce n'est pas vous qui décidez de ce que vous faites. Dans un habitat inclusif, il y a peut-être un peu plus de capacité de décision. Mais ce ne sont pas des structures qui s'opposent. Nous avons aussi accueilli, par exemple, à l'ouverture de la colocation des jeunes Alzheimer. En France, il y en a 55 000 personnes qui développent la maladie d'Alzheimer avant l'âge de 60 ans. Ça commence à 35 ans. en moyenne. Ce sont des maladies extrêmement évolutives. Aujourd'hui en France, sans même parler de l'Alsace, il y a deux établissements de 40 places pour 55 000 malades. Il y a clairement une carence de moyens publics, une carence de décisions politiques. Ce qu'on nous dit c'est que de toute façon, pour accompagner les personnes en perte d'autonomie, on s'appuie sur la famille. C'est comme pour les mesures de protection, la tutelle, la curatelle. S'il n'y avait pas les tuteurs familiaux, notre système craquerait. Dans le monde du handicap et de la perte d'autonomie liée à l'âge, c'est exactement la même chose. La solidarité familiale prend le relais d'une solidarité nationale parfois défaillante. En tout cas pour les personnes les plus lourdement handicapées. Le tableau que je dresse peut paraître très noir, mais quand vous vous retrouvez avec un papa et une maman qui commencent à ne plus être autonomes, à se mettre en danger à domicile, il y a beaucoup de familles qui vivent ça tous les jours, c'est extrêmement difficile de trouver des solutions et on n'est pas préparé à le faire.
À VOTRE SANTÉ ! le mois de la recherche médicale et de la santé en Alsace, en mars 2025, permet aussi de découvrir des solutions, des idées. Ainsi un neuropsychologue de l'Université de Caen Normandie, Hervé Platel, spécialisé dans l'étude du pouvoir de la musique dans notre cerveau, a découvert que, par rapport à la maladie d'Alzheimer par exemple, il y avait une possibilité, en écoutant des mélodies qu'on appréciait quand on était jeune, de retrouver de l'énergie, de la mémoire. Alors ça ne va pas solutionner tous les problèmes Alzheimer. Mais on peut retrouver des petits plaisirs, des sursauts d'énergie grâce à la musique... et à Familles Solidaires.
Ce qu'on appelle les approches non médicamenteuses, c'est-à-dire tout ce qui permet de traiter une personne quand elle est angoissée, quand elle a des troubles du comportement, quand elle a des problématiques de mémoire, d'améliorer son confort, d'améliorer sa vie, c'est bénéfique. Souvent les gens sont "médiqués" de façon assez forte. Parce qu'on a une habitude, parce qu'on n'avait pas beaucoup d'autres solutions. Parce qu'ils ont des gros troubles du comportement, parce qu'ils se mettent en danger aussi, parce que parfois ils mettent en danger les gens qui sont autour d'eux. Mais il y a d'autres façons de le faire. Par exemple, tu évoquais la question de la musicothérapie. Il y a énormément de travaux qui sont conduits sur ces thérapies-là, ça permet de mobiliser finalement la sphère cognitive. Même pour des gens qui ne parlent plus, qui n'ont plus l'accès à la parole ou qui ne savent plus lire parce que quand on a Alzheimer, au bout d'un moment, le cerveau n'arrive plus à interpréter la lecture, n'arrive plus forcément à trouver les bons mots, on fait de l'aphasie. Sur la coloc de Zillisheim, c'est résolument l'approche choisie. Par exemple, on a une thérapie non médicamenteuse, la thérapie par le voyage, un mode d'accompagnement qui est encore différent. Tu vas découvrir encore une nouvelle solution. Ça vient de l'université de Como-Lugano, je crois, à la frontière entre la Suisse et l'Italie. Ils se sont rendus compte qu'en reproduisant une fausse cabine de train, en mettant en place toute une démarche d'accompagnement des personnes, où on simule finalement la montée dans le train, on arrive à revisiter des souvenirs très anciens de la personne. La personne rentre dans une fausse cabine, elle a un écran de télé qui fait comme la vitre du wagon, et on voit le paysage défiler. En fait, en utilisant cette thérapie avec toute une démarche scientifique autour, ça peut permettre de rediscuter avec des personnes, de les remobiliser, surtout d'apaiser leurs angoisses, et finalement d'aider à ce qu'ils vivent mieux leur vie. Alors ce n'est jamais miraculeux, ce n'est pas parce qu'on fait de la thérapie par le voyage ou de la musicothérapie, que la maladie disparaît. Mais si ça permet à la personne de mieux vivre ses difficultés, si ça permet à l'aidant d'avoir deux heures de répit, si ça permet finalement de créer des moments de bonheur, c'est ça qui est important dans la vie, qu'on soit valide ou un peu plus extraordinaire.
Familles Solidaires, dont tu es le fondateur Jean Ruch, c'est la possibilité d'accueillir plein de gens différents. On peut tenter de lister ensemble ceux et celles qui peuvent être intéressés pour entrer en contact avec Famille Solidaire. Il y a d'abord ceux qui ont de l'argent et qui veulent investir dans un immobilier partagé et solidaire. Il y a les aidants. qui peuvent se perdre dans le massif administratif auquel ils font face. Mais il y a aussi évidemment les malades, les personnes âgées et puis sans doute d'autres. Quels sont les gens que tu recherches ? Familles Solidaires propose aussi de la formation professionnelle me semble-t-il.
De quoi a besoin Familles Solidaires aujourd'hui ? De plein de choses, je vais les décrire de façon complètement désordonnée. Les premiers qui ont cru dans l'aventure Familles Solidaires, sont des investisseurs solidaires. Sept familles qui ont mis 180 000 euros dans une entreprise solidaire. Aujourd'hui, ça fait 7 millions d'euros de capital social, les cinq premières années, on a collecté un million d'euros de gens qui étaient convaincus par ce qu'on faisait. Aujourd'hui, on a des banques, ça facilite un peu, puisqu'il faut qu'on trouve des capitaux. On peut toujours devenir actionnaire solidaire personne physique. J'ai un peu de sous, je ne veux pas forcément les mettre sur mon livret A parce que je veux leur donner un peu plus de sens. Vous pouvez les investir dans la foncière Familles Solidaires. Ça donne 25% de réduction d'impôt sur l'investissement. Donc si vous mettez 100 000 euros, vous êtes propriétaire de 100 000 euros d'actions. Vous pouvez déduire 25 000 euros de vos impôts par exemple. Et c'est pareil avec 1 000 ou 10 000 €, peu importe le chiffre. C'est pour expliquer le principe. Donc 25% de l'investissement est déductible des impôts. C'est une façon de nous soutenir. Ça permet de créer des projets auxquels les gens ne croient pas toujours. Les banques n'y croient pas toujours quand on leur dit on va monter une coloc Alzheimer. Ils se disent "mais ils sont complètement fous, ces gens-là, ça ne va jamais marcher. Ils s'attaquent aux gens les plus compliqués". On l'a entendu à de nombreuses reprises. Mais concrètement, on sait que ça marche. On sait que ça existe dans d'autres endroits. Donc il n'y a pas de raison qu'on ne soit pas capable de le faire en Alsace comme ailleurs. De l'investisseur solidaire, on en a besoin. On a besoin de bénévoles aussi. Je pense aux bénévoles qui se mobilisent sur la maison de Bantzenheim. On a quelques bénévoles qui viennent régulièrement pour aider pour les activités.
A Zillisheim, je pense à Pierina, je pense à Pascal, je pense à un certain nombre de gens qui viennent filer un coup de main, des fois deux heures, pour aller se balader avec un locataire dans le village, venir aider à faire du bricolage dans le jardin ou à entretenir le jardin. On a besoin de bénévoles sur des engagements qui peuvent être compatibles avec des choix. Aujourd'hui, les bénévoles n'ont plus forcément envie de venir toutes les semaines, ou trois jours dans la semaine. Donc, on sait s'adapter aussi aux gens qui nous contactent. On a beaucoup d'appels d'aidants qui cherchent des solutions. Alors malheureusement, je vous donnais les chiffres tout à l'heure des colocs Alzheimer. Il y a 60 colocs Alzheimer en France. Il y en a 3700 en Allemagne. En France, on est donc encore loin de pouvoir dire qu'on a une solution facilement mobilisable si quelqu'un en a besoin. Mais on sait aussi accompagner d'autres porteurs de projets, et c'est ce qu'on fait depuis la création de Familles Solidaires. Aujourd'hui, j'accompagne à peu près 35 porteurs de projets en France. Ça peut être des services à la personne, des assos du médico-sociale, ça peut être des aidants qui veulent créer un projet. Souvent, c'est des parents d'enfants autistes qui veulent créer une coloc ou des appartements regroupés et qui appellent en disant
« Je ne comprends rien à tout ce secteur, mais j'ai envie parce que je n'ai pas de solution pour mon gosse, je n'ai pas de place en hébergement, je vieillis, je m'use. »
Ce sont des situations qui peuvent être très compliquées pour tout le monde, que ce soit la personne aidée ou l'aidant. Donc on accompagne ces gens-là en formation et en conseil. On les aide à monter leurs projets, à revoir les plans, à trouver des architectes, à faire les plans de financement. Évidemment, comme on a aussi besoin de vivre, parce qu'une association, ce n'est plus comme il y a 50 ans. Aujourd'hui, dans le groupe associatif, on a 15 salariés. Le fonctionnement du groupe nécessite presque 700 000 euros de masse salariale annuelle. Quand on donne des conseils aux associations, on le fait de façon assez modeste quand c'est bénévole, quelques heures de temps en temps pour quelques porteurs de projet. Et puis les autres porteurs de projet financent cette intervention pour qu'on puisse les conseiller. Mais ça permet de faire émerger des projets. On a accompagné Véronique à Pézenas. C'est une maman dont deux enfants sur trois et le mari avait la maladie de Huntington qui est une maladie neuro-évolutive. Le projet est de monter des logements pour personnes touchées par la maladie de Huntington. Avec des gens qui ont énormément d'énergie, de belles valeurs, et puis surtout qui ont une vision de la vie qui est quand même très différente. Quand on a été confronté plein de fois à des situations critiques, je crois qu'on se concentre peut-être un peu moins sur son plan de carrière, sur le consumérisme, sur le matérialisme, et qu'on se dit, quand on arrive à y survivre, quand on arrive à s'en sortir, on se dit qu'on a beaucoup de chance. C'est ça qui est paradoxal. Là où beaucoup de gens qui ont énormément de moyens matériels et qui vivent dans le luxe, dès qu'il leur arrive le moindre petit pépin de santé, on a l'impression que c'est la fin du monde. Je trouve que les aidants sont très résilients.
On a besoin d'investisseurs, on a besoin de bénévoles, on a besoin de porteurs de projets qui portent cette question de l'habitat inclusif partout en France.
On va lancer d'ici fin mai 2025 un appel à projet pour soutenir 10 projets de colocation Alzheimer en France avec un accompagnement pendant 18 mois. Ce sera entièrement gratuit, financé par une grande fondation. Et notre objectif est de permettre et de dire oui! C'est possible de faire des colocs Alzheimer, même si on continue à faire des EHPAD. L'un n'empêche pas l'autre et on a besoin des deux solutions. Le plus difficile quand on perd en autonomie, lorsqu'il s'agit de quitter son domicile, c'est l'attachement historique, la maison où on a élevé ses enfants, parfois la maison où on a passé toute sa vie, ça existe encore. Mais ce qui est surtout compliqué dans le fait de vieillir, c'est l'appauvrissement du lien social. Parce que quand on a une mobilité difficile, on sort moins de chez soi, donc on voit moins les voisins. Et puis progressivement, quand cette perte d'autonomie va toucher la sphère intellectuelle, on va être moins capable d'adaptation, on va moins supporter le bruit, on va moins supporter les autres. C'est un processus assez systématique. Ça ne veut pas dire que tout le monde le vit de la même façon. On a une tendance naturelle avec le vieillissement à se mettre en retrait social. S'il n'y a pas des personnes qui rattrapent ça, on peut vite se retrouver avec des gens qui décèdent à domicile et qu'on retrouve trois semaines plus tard. C'est la réalité de notre monde aujourd'hui.
Oui, et puis on ne va pas forcément découvrir TikTok ou Instagram à 75 ans, c'est vrai. Question transfrontalière, s'il y a tellement plus de possibilités en Allemagne concernant l'accueil des malades d'Alzheimer, est-ce que les Alsaciens peuvent aller en Allemagne ?
Dans des Wohngemeinschaft, « habitat inclusif » en allemand. Je ne saurais pas répondre à cette question, mais je m'engage à chercher la réponse pour la prochaine fois qu'on se voit. J'ai découvert les Wohngemeinschaft en allant visiter le quartier Vauban à Fribourg. Vous vous baladez dans un quartier, il y a donc en autopromotion, les Baugruppen...
Autopromotion, on peut expliquer ?
Alors, pourquoi c'est différent la France et l'Allemagne par rapport à cette question de l'habitat inclusif et des Wohngemeinschaft ? L'Allemagne, après la Deuxième Guerre mondiale, a été démilitarisée. À Fribourg, on avait une énorme caserne Vauban quasiment au centre-ville. Les pouvoirs publics ont été plutôt intelligents et ont dit " on va essayer un nouveau mode de construction d'habitat ". En France, 99% de la promotion immobilière, c'est les promoteurs immobiliers. Il y a assez peu de gens qui construisent par eux-mêmes, ce qu'on appelle l'autopromotion. À Fribourg, ils ont lancé des appels à projets pour regrouper quelques personnes qui avaient envie d'habiter dans le quartier en leur disant, on vous donne un terrain, imaginez un projet architectural et faites le construire. Et ça s'est énormément développé. On se retrouve avec des quartiers extrêmement riches socialement, parce que les gens se parlent beaucoup. C'est peut-être un peu bourgeois bohème par certains côtés, mais pas que. Cela a finalement permis d'assurer un renouvellement immobilier. Et l'habitat inclusif arrive à peu près au même moment, fin des années 90, à partir de grandes demeures bourgeoises vides. On a besoin de trouver des solutions pragmatiques pour des personnes âgées, des personnes en situation de handicap. On transforme ces grandes maisons finalement en appartements regroupés avec un espace commun et c'est comme ça que sont nées les colocations Alzheimer. A l'inverse, en Allemagne, vous avez énormément de mal à trouver un établissement d'hébergement. Il y en a beaucoup moins qu'en France. C'est en fait c'est un choix sociétal qui a été fait il y a plus de 40 ans maintenant. La France a choisi l'institutionnalisation et est d'ailleurs régulièrement dénoncée par l'ONU (Organisation des Nations Unies) dans le cadre de la Convention des Nations Unies pour les personnes handicapées qui dit
« ce que vous faites relève du siècle dernier, il faut arriver à ouvrir les institutions, il faut permettre aux personnes en perte d'autonomie, même aux personnes les plus lourdement handicapées, d'avoir les mêmes droits que les autres citoyens ».
Parce que sinon ce n'est plus la charte universelle des droits de l'Homme, sinon on revient à ce qu'on a connu, l'institutionnalisation dans le sens négatif du terme. Et donc en Allemagne, il y a énormément d'habitats inclusifs, mais il y a très peu d'établissements d'hébergement. En France, vous avez beaucoup d'établissements d'hébergement et très peu de colocations, très peu d'habitats inclusifs.
Allez visiter Freiburg, le quartier Vauban, la cathédrale et ses saucisses vegan à ses pieds. Jean Ruch, on peut te rencontrer dans le cadre de À votre santé, le mois de la santé et de la recherche médicale, le vendredi 28 mars 2025 à 20h au Cinéma Bel Air, après la projection du film The Father avec Anthony Hopkins, qui parle de la maladie d'Alzheimer. C'est un ciné-débat, c'est tout gratuit. Enfin, si on veut attraper Jean Ruch, si on veut parler à quelqu'un de Familles Solidaires, on clique où ? On fait quoi ?
Pour nos amis alsaciens, en proximité, vous allez sur votre moteur de recherche, vous tapez Familles Solidaires Alsace et vous tomberez sur le site internet de l'association qui oeuvre sur différents territoires en Alsace: https://familles-solidaires.com. On est présent à Schleithal, le plus long village d'Alsace à 6 km de Wissembourg, dans le Bas-Rhin. On a un habitat inclusif sur Ilkirch-Grafenstaden, pour des personnes en situation de handicap au sud de l'agglomération de Strasbourg. On a également investi la Maison pour tous de Bantzenheim avec le soutien de la mairie il y a un peu plus de deux ans maintenant, où on accueille cinq locataires âgés et en situation de handicap. Et sur Zillisheim. Et bien sûr notre siège social à Mulhouse qui est 14 avenue Tassigny. On est présent assez régulièrement dans plein de manifestations. N'hésitez pas à nous faire un petit message si vous avez des besoins, pour réagir, pour dire c'est bien, ou pour dire c'est nul ce que vous faites. Vous savez quand on entreprend, on a souvent besoin de signaux faibles pour se dire qu'on est en phase avec la société. Parce que quand je parle de la dépendance, c'est sûr que je ne dresse pas un portrait hyper encourageant de notre monde. Mais si on ne dénonce pas ce qui ne fonctionne pas, ça ne change jamais. Et pour ma part, en tant qu'aidant, j'y ai été confronté à de nombreuses reprises. Venez à notre rencontre, venez à cette soirée ciné-débat du 28 mars 2025. Et vous pouvez envoyer un petit message sur info@familles-solidaires.com. On essaiera de vous répondre dans les meilleurs délais. Et on espère surtout avoir l'occasion de vous croiser.
Dernière question, tu cites souvent les mairies comme partenaires des projets Familles Solidaires. Les municipalités vont être renouvelées en mars 2026. Est-ce qu'il y a des revendications, des messages à porter auprès des candidats ?
Oui, clairement. Je pense que ce n'est pas la responsabilité uniquement des maires, ou uniquement des départements, ou uniquement des conseils régionaux. Il y a dix ans, au niveau du gouvernement, on a créé le comité interministériel. Avant, on ne parlait de handicap qu'au ministère de la Santé. Ce qui serait super, c'est que les mairies se sentent tout autant concernés par les personnes en situation de handicap et en perte d'autonomie que par l'assainissement ou le réseau d'éclairage public. Parce que nos concitoyens, c'est souvent au plus proche qu'on les repère, c'est au plus proche qu'ils ont besoin de soutien. Et donc cette compétence handicap, qu'on ne s'abrite pas toujours derrière « Ah mais ce n'est pas moi qui suis le financeur, donc allez vous adresser à tel financeur » . On est tous responsables de la situation actuelle. On a tous besoin qu'elle évolue, ne serait-ce que pour nos besoins individuels futurs. Oui, il serait quand même grand temps qu'au lieu de parler tout le temps d'immigration, on parle des 13 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, des 3 millions de personnes dépendantes, et de leurs 11 millions d'aidants qui pour 60% d'entre eux, donc 6 millions, travaillent tout en s'occupant d'un proche. Ce sont des femmes de 40-50 ans qui s'occupent d'une maman qui perd de l'autonomie, qui viennent l'aider le matin, le midi, le soir. Et ça, personne ne le reconnaît. Donc oui,
ouvrez les yeux, messieurs les élus, parce que je pense que les femmes ont une vision beaucoup plus claire de ce que veut dire la perte d'autonomie parce qu'elles s'en occupent depuis des siècles. Ouvrez les yeux et arrêtez de dire que c'est de la compétence des autres, c'est de la compétence de tout le monde d'accueillir les personnes correctement.
Merci beaucoup Jean Ruch, fondateur de Familles Solidaires, à retrouver au Ciné-Débat, au cinéma Bel Air à Mulhouse le vendredi 28 mars 2025 à 20h. C'est gratuit, c'est en tram (arrêt Bel Air). Merci beaucoup Jean Ruch.
Merci, à bientôt.