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Photo du rédacteurJean-Luc Wertenschlag

Bienvenue en République Slammique!

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

     

[Revue de presse] Extrait du magazine Novo N° 75 janvier 2025 - chronique Ton voisin cet inconnu par Jean-Luc Wertenschlag - dessin Joan


Slam ? Was ist das ? Un barbu tatoué qui plonge dans la foule depuis la scène d’un concert heavy metal pour se faire transporter par des dizaines de mains chatouilleuses jusqu’aux toilettes sans toucher le sol ? Un jeu TV quotidien sur France 3 réservé aux plus de 75 ans ? Ou une forme de poésie, de narration scandée librement, de manière rythmée ?



Un dessin signé JOAN
Un dessin signé JOAN

C’est bien sûr cette dernière version qui nous intéresse. Les puristes se déchirent sur la définition du slam, “poetry slam” en allemand. Pour certains, “slam” ce sont les mots qui claquent. Pour d’autres, ce serait plutôt la manière d’applaudir, en claquant des doigts, pour continuer à entendre le texte. Mais presque tout le monde reconnaît que c’est un ouvrier du bâtiment appelé Marc Smith qui invente le slam dans les années 80 à Chicago. Son but est de dépoussiérer et démocratiser la poésie en la transformant en performance scénique. Français, il aurait demandé une subvention au ministère de la culture de Jack Lang. Mais nous sommes aux Etats-Unis, empire du sport spectacle. Alors, les règles du tournoi de slam sont édictées. Chacun chacune déclame un texte écrit de sa propre main en 3 minutes maxi, sans costume ni accessoire. On n’est pas au théâtre ! Les grosses mises en scène et la musique sont interdites. On n’est pas au Noumatrouff ! Des juges sont choisis dans le public et notent chaque performance de 0 à 10. La compétition peut commencer… tout comme l’exportation !


Si tous les ouvriers du BTP se lançaient dans la poésie,

que deviendrait le monde ?


Le slam débarque en France dans les années 90, sous l’impulsion notamment de Pilote le Hot, plutôt saltimbanque qu’ouvrier du bâtiment. Grand Corps Malade permet à partir de 2005 à la discipline d’accéder à la notoriété. Aujourd’hui, cet art oratoire s’est développé dans tout le pays, se structurant avec deux organisations principales, le Grand Poetry Slam et la Ligue Slam de France, ainsi que de multiples rendez-vous. Quelques événements majeurs rythment l’année poétique de façon sportive, comme la coupe du monde et le slam national en mai 2025 à Paris. Mais la poésie urbaine ne se limite pas aux mégapoles, une multitude de structures peuplent le pays, d’Amiens à Lille, du Havre à Toulouse, de Pau à Reims, de Nancy à Troyes.  Même à Colmar ? Non, n’exagérons pas…


Strasbourg et Mulhouse sont les places fortes du slam en Alsace. Slammeurs et slammeuses se recrutent partout, dans le Sundgau, dans les vallées vosgiennes, jusqu’à Ste Marie aux Mines. Des rendez-vous réguliers sont proposés et tout le monde peut monter sur scène. Même toi ! À Strasbourg, le collectif “Slam is not dead” organise chaque dernier mardi du mois une scène slam à la maison Mimir. Rémy et ses amis promettent un verre offert à chaque texte dit. Et à Mulhouse, chaque premier vendredi du mois, direction le restaurant solidaire La Table, à Bourtzwiller. Après une vingtaine d’édition de “Paye ton vers”, place au “Slammerstein” à partir de janvier 2025. À suivre, un festival cet été dans la cité du Bollwerk.


Remontons aux sources. Comment l’aventure slam a-t-elle démarré à Mulhouse, capitale du monde ? Ce premier âge d’or débute à la fin des années 2000. Il était une fois… la naissance du slam du 6-8 au bar “Les Copains d’abord”, tenu à l’époque par JP & Régine, couple de patrons punks ouvert à toutes les expériences sonores, qui ressuscitera par la suite le mythique bar à bières de la rue des Franciscains, le Gambrinus. Des précurseurs comme JDHZ (Jhon Do Hazar), Fred ou Frantz lancent les premières scènes slam. Jeunes et vieilles se succèdent sur scène. Une grand-mère peine à lire son texte en tremblant, l’émotion gagne son visage, elle est au bord des larmes, c’est sans doute la première fois qu’elle s’exprime en public. Un ado s’empare du micro, partage ses sentiments amoureux sans pudeur. Un poète interprète une ode souriante à la vie d’ici. Le monde défile, la salle s’enflamme, l’humanité a encore gagné ! 


des patrons punks ouverts à toutes les expériences 


Aurélien Crifo, alias Karl, découvre alors cette forme poétique pas comme les autres. Artiste, auteur, interprète, il s’intéresse à la poésie sous toutes ses formes. Rappeur d’abord avec plusieurs albums révoltés à son palmarès, il devient accro au slam, rencontre Marc Smith, Pilote le Hot, s’illustre en devenant vice-champion de haiku en 2023 avant de terminer 2e au Grand slam national 2024 avec l’équipe de La Table, en compagnie de Samuel “Lunik”, Charlotte "Trikotte" et Jo Welcome X. Surtout, il relance des rendez-vous mensuels réguliers avec l’association “Jouons avec les mots”. Mais pourquoi le slam, Karl ? 


“À l’échelle collective, pour passer un bon moment autour de la poésie, de l’art des mots, c’est distrayant, on partage plein d’émotions. Ces rencontres créent du lien, des projets émergent. Au niveau perso, on se sublime par une discipline à l’écrit, puis à l’oral pour celles et ceux qui pratiquent et montent sur scène. On écrit sans se cantonner aux livres, on raconte, on se raconte, on raconte les autres, on amuse le public, c’est parfois émouvant. J’ai déjà pleuré, ri, j’ai pris de grandes gifles. Le slam c’est l’art d’apprécier des poètes vivants très talentueux.” 


l’art d’apprécier des poètes vivants 


Et comme au théâtre, on peut expurger ses passions par l’observation d'une scène, on peut vivre une expérience forte. À l’image d’une tragédie grecque, voir un meurtre, se représenter la scène, l’analyser peut éviter de tuer quelqu’un. Osez donc le slam la prochaine fois que vous avez envie d’égorger un voisin!


Car le slam est multigénérationnel, réunit toutes les classes sociales, un peu comme le foot qui intéresse autant Bernard Arnault que le premier hooligan venu. Personnalités du milieu artistique, ouvriers, chômeurs, handicapés, hommes, femmes, vieux, jeunes, enfants, ce terrain de jeu poétique accueille la francophonie mondiale. C’est ouvert à toutes et tous. Sauf aux nazis, aux racistes et aux misogynes. Avec les ateliers d’écriture à Strasbourg, Mulhouse et dans la plupart des villes de France, se lancer, écrire son premier texte, oser sa première scène est un jeu d’enfant, une fois sa timidité naturelle surmontée. 


Dans ce monde socialement violent où le dialogue est souvent difficile, le slam est un rare moment d’échanges, de liberté, de rencontres où tout devient possible. Déclamer un texte devant un public empathique, jouer avec les mots, inventer une rime magique, raconter une tranche de vie en riant ou pleurant est une expérience forte qu’il convient de tenter au moins une fois dans son existence. C’est gratuit, surprenant, touchant, curieux et valeureux. Changer de vie avec un stylo et une feuille de papier… Hopla on y va ?



Karl le rouge en vert et blanc


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